L’ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL GAGNE LES MANAGERS
Interview Florian T. Médecin du travail
JDV : En tant que Médecin du Travail, comment définissez-vous le contexte actuel et les tendances très récentes que vous observez ?
F : Je constate une très nette accélération. Beaucoup de mouvements, de changements mais sans cap réel. Depuis plusieurs années, nous voyons la montée de la souffrance chez les salariés. Mais ce qui a changé, c’est que cette souffrance nous la trouvons désormais chez les managers, les employeurs, les dirigeants.
Au fur et à mesure, je constate que la parole se libère et que de plus en plus de managers s’expriment plus facilement sur leur mal-être et les pressions qu’ils ressentent. Il m’arrive par exemple d’avoir des échanges avec des managers qui m’exposent une situation et qui me demandent « qu’en pensez-vous ? » car ils sont de plus en plus perdus.
JDV : Est-ce que cette souffrance nouvelle des managers ou dirigeants se retrouve plus dans un univers professionnel que dans un autre ?
F : Le même constat se fait quels que soient les univers et les métiers. Industrie, médico-social, services, administratifs, commerces…
Avant, les managers semblaient avoir des solutions pour garder l’optimisme, ou alors ils étaient dans le déni ? Mais il semble qu’ils aient puisé dans leurs dernières ressources et qu’aujourd’hui l’Humain s’épuise ! On retrouve chez eux la même fatigue psychologique et physique que pour tous les autres salariés. Avec une complexité de plus : la pression qu’ils ressentent par l’impossibilité d’être remplacés.
Souvent, j’ai pu observer les phénomènes de compensation qui se mettent en place dans les entreprises. Lorsqu’il y a des salariés absents, le manager essaie de compenser. Avec une intensification logique de son travail.
Ce qui au départ est le problème individuel d’un salarié devient ensuite le problème d’un service, et aujourd’hui par extension le problème de l’entreprise. C’est un engrenage !
JDV : Quelles sont les solutions pour sortir de cet engrenage ?
F : Le souci c’est que ce n’est pas un problème ponctuel. Il faut bien se dire que pour sortir de ce type de situation, il faut développer la capacité à faire évoluer toute l’organisation. Pour retrouver de l’énergie et du bien-être, il va falloir faire un travail collectif pour identifier ensemble, les solutions pour fonctionner autrement et ménager les hommes. Trouver la bonne adéquation entre les compétences, le lieu, le collectif. Redonner un élan avec toute l’équipe !
JDV : Avez-vous eu l’occasion d’accompagner des entreprises qui ont, selon vous, trouver des clés ?
F : Les clés de la réussite passent souvent par une dose de folie d’un dirigeant ou d’un manager qui emmène et inspire ses équipes. Il faut un leader qui ait une vision, un nouveau regard et qui sache en plus partager et prendre soin de l’Humain.
Quand que je rencontre une entreprise qui est déstabilisée, le changement prend souvent plus d’un an et réussit par la mise en place :
• La montée en compétences,
• Le partage de la vision,
• L’incitation au participatif : « faire ensemble »,
• La transparence sur le constat et les efforts à réaliser,
• La confiance réciproque,
• L’information et la communication, tout au long du projet,
• L’accompagnement Humain.
Lorsque ces éléments sont réunis les salariés sont plus engagés, mieux intégrés, ce qui permet un meilleur équilibre, une harmonie, une psychologie plus positive.
JDV : Est-ce que vous avez perçu des variations sur l’état d’épuisement des équipes en fonction des territoires ?
F : Nous observons à peu près les mêmes réalités partout. J’ai peut-être observé des particularités sur des territoires hors grandes métropoles. Ce sont des entreprises qui développent une approche plus paternaliste.
Avec des échanges plus faciles entre employeurs et salariés. Plus de proximité entre eux. Mais selon moi l’indicateur essentiel de qualité de vie dans son travail est davantage lié à la culture humaine, à une culture d’entreprise où on a intégré l’humain comme le maillon indispensable pour réussir et faire gagner l’entreprise. Il est essentiel de mettre l’Humain au cœur de sa stratégie. Car même dans les moments compliqués, voire dans des moments dramatiques, il y a la force du collectif.
L’Humain n’est pas une complexité pour l’entreprise. C’est son principal atout !
JDV : Ces moments dramatiques que vous évoquez, en avez-vous accompagnés ?
F. : Oui. Et dans ces moments là, c’est par l’écoute, les échanges avec les équipes et les dirigeants que nous avons ensemble trouvé la force et le courage d’avancer, de continuer. La résilience commence par l’échange, le collectif, la solidarité entre tous. J’ai vu des équipes sortir plus fortes de ces drames. Par nature, notre métier nous permet de voir ce qui ne va pas dans l’entreprise. Les risques bien sûr, mais au-delà et avant tout le mal-être, les dégâts humains que certaines formes de management ou d’organisation provoquent. Ce n’est pas toujours intentionnel. Mais systématiquement et sans surprise, dans ces entreprises où on ne prend pas soin des équipes, souvent on voit se multiplier les inaptitudes. Et c’est là que l’engrenage se met en place.
JDV : Quelles sont les réponses que vous pouvez apporter en cas de souffrance mentale ?
F : D’abord et avant tout de l’écoute. C’est essentiel dans nos missions. Prendre le temps nécessaire pour une écoute active, honnête, humaine, avec empathie. Ne pas juger. Nous sommes souvent frustrés de ne pas avoir tous les moyens ou les outils pour aider plus. Nous devons dans les prochaines années aller au-delà de la prévention secondaire. Faire prendre conscience au monde de l’entreprise de la souffrance. Conseiller sur les virages et les transitions. Être beaucoup plus présents dans les espaces pour aider à bouger et à changer. C’est ensemble que nous trouverons des solutions. Nous devons développer les connaissances, les compétences et les nouveaux outils. Accepter les nouveaux enjeux et notamment la montée des RPS. Ne pas en faire un mythe. Ne pas en avoir peur !
Nous devons reconnaître la fragilité de la santé au travail face à ce phénomène. Pour aller de l’avant !
C’est de la prévention primaire.
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