Échanges avec Fanny PACCOU,
Conseillère en Prévention
chez PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord

JDV : Quel regard sur le contexte et quelles vulnérabilités observez-vous actuellement en tant que Conseillère en Prévention ?

F.P. : L’une des choses que l’on entend et constate le plus actuellement, est que les salariés ne se sentent pas suffisamment écoutés. On déplore trop souvent le manque d’écoute de certains dirigeants vis-à-vis de leurs équipes, engendrant des erreurs coûteuses en temps et en ressources. On observe, par exemple, des situations où des postes de travail sont revisités, des étages entiers réaménagés sans même qu’il n’y ait eu consultation des équipes qui occuperont ces espaces de travail. Et on se retrouve malheureusement avec des environnements de travail qui ne sont pas du tout adaptés aux postes et besoins des salariés. Cela crée de la frustration, une perte d’espace dans le cas où les nouveaux espaces créés ne sont même pas exploitables, et une perte de temps ensuite lorsqu’il faut revoir les aménagements qui viennent pourtant d’être faits. Il y a une mauvaise appréhension de problématiques comme l’acoustique, ce qui peut rendre le travail invivable dans un environnement comme un open space, par exemple.

On voit des espaces professionnels conçus uniquement par des architectes, sans implication de spécialistes comme des ergonomes, et ça se répercute malheureusement sur les salariés et leurs conditions de travail. Il en va de même pour les organisations, les salariés sont trop peu concertés et témoignent souvent d’un manque d’écoute. Il est fréquent qu’on ne se contente que de les informer de décisions prises plus haut, sans consultation ni prise en compte de leurs problématiques.

JDV : Quels sont les symptômes de ce manque d’écoute ?

F.P. : On observe une augmentation des souffrances psychologiques, notamment dans le secteur tertiaire. Beaucoup d’entreprises souffrent d’un phénomène de turnover qui rend l’activité et le management parfois très compliqués. D’un point de vue équipe Santé Travail, cela nous pose également des problèmes, puisqu’on se retrouve souvent avec des changements d’interlocuteurs qui rendent le suivi difficile. On peut commencer un processus de visites auprès d’une entreprise et avoir un interlocuteur différent à chaque rendez-vous, voire se retrouver dans l’incapacité de trouver le nouvel interlocuteur à qui nous adresser. Cela se transforme alors en jeu du chat et de la souris et il nous faut parfois de nombreuses tentatives et échanges d’emails pour finalement trouver la nouvelle personne en charge du suivi.

JDV : Comment expliquez-vous ce phénomène de turnover de plus en plus présent ?

F.P. : Pour les jeunes générations de 20 à 35 ans, on constate des attentes différentes du point de vue de l’équilibre vie professionnelle / vie privée. Il y a eu un phénomène de bond en avant en ce qui concerne le télétravail durant la crise sanitaire et les confinements avec une généralisation de celui-ci ou une part importante sur le temps de travail hebdomadaire. Depuis, de nombreuses entreprises semblent revenir en arrière et ont décidé de, soit supprimer la possibilité de télétravail, soit réduire à une journée par semaine. Or, cela fait partie des attentes de nombreux salariés aujourd’hui, pour des raisons de flexibilité et, également, pour des raisons économiques.

JDV : Des raisons économiques. Lesquelles ?

F.P. : La crise économique et énergétique que nous traversons affecte de nombreux salariés aux revenus modestes. Certains en viennent à devoir choisir entre le travail et payer le mode de garde des enfants, ou les trajets pour se rendre sur le lieu de travail. Certaines personnes ne s’y retrouvent plus et ne peuvent plus payer la garderie, la nounou, la cantine et se voient contraintes de réduire leurs horaires de travail, voire d’arrêter totalement le travail, notamment dans les familles mono-parentales. Cela crée des situations de grande précarité.

JDV : Comment les entreprises réagissent-elles ?

F.P. : Il s’agit encore d’une très petite minorité, mais on voit certaines entreprises adapter leurs modes d’organisation et par exemple proposer la semaine de 4 jours. Et les constats sont très positifs puisque le retour des salariés est réellement enthousiaste. On a récemment eu l’exemple d’une entreprise dans le secteur de l’informatique et de la vente à distance qui est passée à la semaine de 4 jours et qui, au bout d’un an et demi, en voit les effets positifs sur l’activité, lui permettant même d’augmenter ses effectifs au niveau national. Ce nouveau mode d’organisation pourrait clairement faire l’objet d’une préconisation des Médecins du Travail lorsque l’activité s’y prête. Certaines entreprises, principalement de petite taille, parviennent à identifier les difficultés économiques que peuvent rencontrer certains salariés, et essaient d’adapter ou réorganiser les horaires de travail en conséquence. Le télétravail peut énormément aider puisqu’il permet plus de flexibilité, notamment auprès des familles.

JDV : Quels secteurs d’activité peuvent être concernés par ces nouveaux modes d’organisation ?

F.P. : Les secteurs de la coiffure, de la restauration, par exemple, sont énormément sujets à cette problématique de turnover et aux difficultés de recrutement. Proposer des modes d’organisation différents pourraient permettre aux salariés de faire face aux contraintes liées aux horaires décalés et au travail le week-end. La semaine de travail de 4 jours, par exemple, peut être un levier pour le recrutement.

JDV : Quelles autres vulnérabilités émergent dans le contexte de crise énergétique ?

F.P. : Les vulnérabilités liées à la mobilité ! Avec l’augmentation des prix et la pénurie de carburant, de nombreux salariés se retrouvent en difficulté pour se rendre sur leur lieu de travail, notamment dans une métropole comme Lille où les transports sont coûteux. Il est difficile pour les structures de moins de 10 salariés ou petites PME de participer aux frais de transports de leurs équipes. L’investissement est beaucoup trop important.

On oblige les entreprises à effectuer de nombreux contrôles qui sont coûteux. Cela entraîne, de façon logique, une baisse du recrutement ou une incapacité pour certaines d’entre elles à se mettre en règle avec les lois. Le turnover est un gros frein à la Prévention. On perd les basiques de la Prévention et de la Sécurité au Travail. Quand l’équipe ne cesse de changer, comment faire pour organiser les formations ?

JDV : Quelles réponses possibles à ces problématiques ?

F.P. : Une plateforme comme Job de Vie peut clairement être une réponse clé ! Job de Vie peut permettre de couvrir la base de la Prévention et de l’Auto-Prévention avant même l’arrivée des équipes Santé Travail au sein des entreprises. Ce qui nous permettrait alors d’être beaucoup plus pointus dans l’accompagnement lors de nos interventions. » Bien sûr, il est gratifiant d’avoir les retours positifs d’une entreprise lorsqu’on leur communique toutes les bases de la Prévention à mettre en vie chez eux. Mais, on pourrait aller plus loin dans l’Auto-Prévention si les bases étaient abordées en amont !

JDV : Qu’est-ce qui vous anime dans votre métier ?

F.P. : Le fait de travailler au sein d’une équipe pluri-disciplinaire ! J’ai la chance, par exemple, de travailler avec un Médecin du Travail qui nous invite à réaliser les études de postes en binôme avec ma collègue Infirmière Santé Travail. Nos regards sont totalement complémentaires avec une expertise médicale et para-médicale, quand j’aurai davantage un regard organisationnel. Cela nous permet d’être exhaustifs dans les rapports et comptes-rendus et donne une connaissance plus large de la situation au Médecin du Travail. C’est un gain de temps et d’efficience dans la durée et tout au long du suivi effectué. Il en découle toujours des échanges super constructifs et très enrichissants ! Nos interventions sont généralement bien perçues, on reçoit parfois des retours positifs d’équipes qui reviennent vers nous, c’est très gratifiant !