L’ENTREPRISE EST UN TERRITOIRE DE PRÉVENTION
Interview Louis-Marie HARDY, Directeur général PÔLE SANTÉ TRAVAIL

JDV : Quelles perceptions avez-vous de l’évolution de la santé au travail ces 10 dernières années ?

LM. H. : La santé au travail n’a cessé d’évoluer. Globalement, c’est d’abord un élargissement des compétences. On est passé à une approche plus globale de la santé au travail en développant aussi une approche de la santé via le travail. Durant de nombreuses années, comme beaucoup d’entre nous, j’étais accroché à une Médecine du Travail centrée sur le suivi de santé au travail. Mais non !

La santé pour chacun d’entre nous est globale. On n’a qu’une seule santé ! Il nous faut aussi apporter des réponses en dehors du travail. Les mêmes risques existent aussi à la maison.

 

Aujourd’hui on dénombre 1 500 décès au travail pour 20 000 accidents domestiques

 

LM. H. : Lors d’une conférence Presanse* en 2018, le professeur Vincent Bonneterre attirait notre attention sur le fait que les messages de prévention passent beaucoup mieux dans le monde de l’entreprise.

« L’ENTREPRISE C’EST UN TERRITOIRE DE PRÉVENTION »

La protection au travail s’est considérablement développée. Les entreprises comme les salariés l’ont d’ailleurs intégré « culturellement ». Il est donc effectivement plus facile de prévenir et d’agir sur la prévention au travail et via le travail pour apporter des réponses globales à la santé de chacun.
C’est même de notre responsabilité car les écarts d’espérance de vie à 50 ans sont de 12 à 14 ans et ils sont liés à nos habitudes de vie : alimentation, activité physique, tabagisme, alcool…

*PRÉSANSE = Prévention Santé au Travail

« Le travail est un déterminant de santé (physique, mentale, sociale) direct mais aussi indirect. Le travail influe positivement ou négativement sur la santé du travailleur avec de multiples répercussions attendues (famille, collègues, entreprise). Il est classé en France 6ème cause de décès et d’années perdues selon l’OCDE**. »

Professeur Vincent Bonneterre – Presanse – 2018 

**OCDE = Organisation de Coopération et de Développement Économiques 

JDV : Comment ont évolué les entreprises dans la mise en vie d’actions de prévention ?

LM. H. : Les grandes et moyennes entreprises ont davantage avancé sur la qualité de vie au travail et sur le bien-être dans cette dernière décennie. De nombreuses actions ont été mises en place. Souvent en partenariat avec PÔLE SANTÉ TRAVAIL d’ailleurs. Ça n’a pas toujours été simple.
Mais nous avons appris à nous connaître et à nous faire confiance.

Les relations de proximité avec les Médecins du Travail et les équipes pluridisciplinaires nous ont permis d’agir ENSEMBLE pour développer la prévention primaire et secondaire.

LM. H. : Pour les petites entreprises, c’est forcément plus compliqué. D’abord parce que les TPE n’ont pas les mêmes moyens y compris humains pour se mobiliser sur les actions. Parce que trop souvent aussi dans les TPE, les professionnels sont exclusivement tournés vers leurs activités, leurs entreprises. Mécaniquement ils ne s’octroient souvent pas le temps de prendre soin d’eux, de leur santé et du bien-être.

Il y aussi un manque de connaissances et d’informations à combler. Nous observons que dans ces petites entreprises existe une culture familiale, paternaliste où les relations de proximité font qu’on agit soi-même, dans l’immédiateté, avec bon sens et humanité. Ils ne ressentent pas forcément le besoin d’être accompagnés.
L’enjeu pour nous est bien sûr de développer plus de liens avec ces TPE et de leur démontrer les réponses et solutions que nous pouvons apporter.

Notre objectif : continuer de faire baisser les risques et mettre en vie une culture de prévention.

JDV : Quel est le premier risque professionnel ?

LM. H. : La sédentarité, avant toute chose ! C’est forcément lié à l’évolution du monde du travail et à la tertiarisation des métiers.

Selon l’Observatoire National de l’Activité Physique et de la Sédentarité (Onaps),
le seul fait d’être assis plus de trois heures par jour est responsable  de 3,8 % des décès, toutes causes confondues et quel que soit le niveau d’activité physique en parallèle !

JDV : On entend parler de réorganisation, de rapports… Où en est-on de la réforme annoncée ?

LM. H. : Nous en sommes au 8ème rapport ministériel coordonné
depuis le rapport d’août 2018 de Charlotte Lecocq.

1 – Réflexion sur le sytème Santé Travail (Rapport Lecocq)
Place dans le sytème de santé
Organisation territoriale
Agence nationale de prévention

2 – Réflexion sur les Agents Chimiques Dangereux (ACD / Rapport Frimat)
Quelle prétention ?
Quelle traçabilité ?
Place des Services Santé Travail

3 – Réflexion sur les maladies professionnelles dans l’industrie (Rapport Borowczyk et Dharreville)

4 – Maîtrise des arrêts de travail (Rapport Brard, Oustric et Seiller)

5 – Commission des affaires sociales du Sénat sur la santé au travail (Rapport Artano et Cruny)

6 – Mission sur la santé au travail dans la fonction publique (Rapport Coton, Lecocq et Verdier)

7 – Mission demandée par le premier ministre (Rapport Lanouzière, Expert, Seiller)

8 – Auto-saisine de l’IGAS sur les Services Santé Travail

LM. H. : Je pense que ce qu’il faut retenir c’est que nous sommes en train de retrouver notre vrai métier.
La loi du 11 octobre 1946 était exclusivement préventive !

La loi du 11 octobre 1946 établit les principes fondateurs de la Médecine du Travail :
elle précise ses objectifs et les règles essentielles de son organisation. Elle rend celle-ci obligatoire dans toutes les entreprises privées et s’adresse à tous les salariés.

Sa mission consiste à éviter l’altération de la santé des salariés du fait de leur travail. 
Elle impose aux employeurs la création et le financement des services médicaux, soit directement dans l’entreprise,  soit dans le cadre de Services de Santé au Travail Interentreprises (SSTI). Spécialisé et indépendant, le Médecin du Travail se voit confier un rôle majeur  dans le système de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

La prévention s’articule alors exclusivement autour de la visite annuelle obligatoire, assurée par le seul Médecin du Travail et destinée à contrôler l’aptitude du salarié, c’est-à-dire l’adéquation entre le poste de travail et son état de santé.

LM. H. : On a perdu cet esprit là. On est ensuite devenu plus réglementaire. Malgré la Directive européenne sur la santé de 1989, la déclaration des partenaires sociaux en 2000 à l’origine du développement des équipes pluridisciplinaires, nous sommes loin du compte ! On avance mais il reste beaucoup à faire !

Comment faire pour que la prévention soit plus forte en France d’autant qu’elle est plus importante si on passe par l’entreprise ?
Nous y travaillons.

JDV : Comment vous projetez-vous dans la prochaine décennie ?

LM. H. : Notre premier objectif est de pouvoir garantir une base de services rendus aux entreprises et aux salariés. Les gens ne savent pas vers qui se tourner. En cela l’idée d’un guichet unique est pertinente. Nous devons unifier le système.
Il y a aujourd’hui beaucoup trop de différences entre les Services Santé Travail. Une entreprise qui est suivie ne va pas avoir le même service en fonction des équipes et moyens sur son territoire.

Ensuite, nous devons développer et faciliter une culture de prévention. Travailler la communication, la formation et l’éducation pour les plus jeunes. Accompagner et conseiller les managers et dirigeants.
C’est pour cela que nous avons créé JOB DE VIE.
Lorsque j’ai lancé une démarche de prospective et d’anticipation, j’avais la conviction que la santé au travail allait devoir évoluer pour continuer  d’accompagner la société, le monde du travail qui est lui-même en grande transformation et évolution.

Nous devons apporter de nouvelles réponses, prolonger et étendre nos missions régaliennes.

Dans les révolutions que nous vivons, les entreprises ont besoin de réponses, de solutions, de moyens pour prendre soin des équipes.
Nous devons développer nos activités, anticiper les risques qui vont arriver.  Retrouver l’élan des pionniers et tout le sens de l’histoire de la Médecine du Travail.
Nous devons accompagner la prévention dans les entreprises, quelle que soit leur taille.

J’ai compris que les entreprises qui vont gagner sont celles qui savent qu’elles sont plus performantes quand les Hommes vont bien.

Je pense aujourd’hui que les changements ne viendront pas des politiques mais des gens, et les politiques suivront. Nous ne savons pas où on va et comment sera notre monde demain mais on va le faire avec les nouvelles générations en les écoutant sur les engagements qu’elles veulent prendre.

Le changement passe toujours par les jeunes. Il faut prioriser l’éducation. Laisser la place aux talents d’éclore !
C’est notre plus grand défi !

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