Quels sont les risques de cette période de confinement et de télétravail pour les salariés ?
S.R. et G.F. : Les salariés qui ne sont pas contraints au chômage partiel et qui œuvrent en télétravail disent multiplier les réunions en visioconférence depuis le début du confinement. La « réunionite » bat son plein. Cette organisation a pour principal défaut d’abolir encore un peu plus l’indispensable frontière entre vie professionnelle et vie privée. Cette situation peut être particulièrement préjudiciable aux salariés qui doivent veiller sur leurs enfants en bas âge et pallier la fermeture des classes. L‘expérience prouve que l’empiétement du travail sur la sphère familiale et privée est source d’épuisement professionnel.
Peut-on souffrir d’un épuisement professionnel même en étant confiné chez soi ?
S.R. et G.F. : Le confinement n’arrange rien. Le télétravail qui présente des vertus certaines, peut néanmoins conduire à une organisation pathogène du travail, une absence de marge de manœuvre, des injonctions contradictoires, une charge de travail intense, des repos insuffisants, une absence de reconnaissance statutaire, créant un sentiment d’échec et le burn-out. Le confinement et la brusque chute de l’activité peuvent malheureusement accroître ce sentiment. Les victimes de burn-out souffrent généralement d’un manque de reconnaissance. Or le travail à distance ou le chômage partiel nous font perdre le contact avec nos collègues. Il y a là une forme de distanciation et de désocialisation qui peut aggraver l’isolement voire la relégation de certains salariés. Les employeurs doivent en être bien conscients. Les risques psychosociaux ne disparaissent pas du fait du confinement. Pour l’instant, les salariés font preuve d’une résilience poussée à l’extrême.
Le déconfinement permettra-t-il de reprendre la vie professionnelle « comme avant » ?
S.R. et G.F. : Les employeurs peuvent être tentés de rattraper le temps perdu et vont vouloir mettre les bouchées doubles pour « sauver » les entreprises et minimiser l’impact de la crise. C’est là le danger principal : pour réussir la reprise d’activité, les entreprises ne doivent pas sous-estimer le choc post-traumatique de la crise sanitaire. Les salariés peuvent ressortir fragilisés voire très éprouvés de cette période. Pour obtenir d’eux ces efforts de productivité, il faudra plus que jamais instaurer un dialogue social intelligent et constructif, fondé sur la bienveillance, la communication et l’écoute active.
Ces dernières années, on a pu croire que l’intelligence artificielle (IA) allait pourvoir à tout. Cette crise qui n’a pas du tout été anticipée par les modèles statistiques de l’IA. Cette crise remet l’humain au cœur du travail.
Le véritable défi de toute crise est de transformer un obstacle en opportunité. Il faudra travailler sur l’acceptation que nous ne serons plus jamais les mêmes, il y aura un avant et un après la crise. On sort rarement plus fort, mais on peut sortir plus « conscient »…
Source : L’Obs – Sophie Reichman, avocate en droit du travail au Barreau de Paris et le docteur Guillaume Fond, psychiatre à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille