Une maison à gerer !
Interview Anne-Louise Morel, Responsable RH, EHPAD La Fleur de L’Âge
JDV : Vous avez vécu l’avant et le « depuis » COVID. En quoi la crise sanitaire a-t-elle impacté votre travail ? Quelles évolutions y a-t-il eu au niveau de l’organisation ?
A-L.M. : Je préfère scinder cette crise COVID en deux temps.
La première vague, où personne ne savait vraiment ce qui allait nous attendre. Nous nous sommes retrouvés confinés et nous étions nombreux à ne pas savoir quoi faire notamment pour les RH. Les questions que nous nous posions : « On va avoir des cas COVID. On ne sait pas combien, on ne sait pas sous combien de temps. Comment va-t-on faire ? ». C’était la première étape. Elle s’est traduite par le recrutement de renfort COVID. Dans un contexte où les possibilités sont réduites, recruter une aide soignante diplômée, s’avérait difficile.
Nous avons recruté des étudiants infirmiers, des agents de services hospitaliers qualifiés. Nous avons attendu un mois, deux mois, trois mois. Nous n’avons pas eu de cas de COVID. Nous avons été chanceux par rapport aux autres établissements qui ont pu en avoir. Nous sommes sortis assez vaillants de cette crise. Nous avons échappé au pire ! Nous étions plutôt contents de notre organisation, ce qui nous a amenés à enclencher une nouvelle organisation dans la durée. Distribuer les repas de manière différente par exemple.
Puis arrive la deuxième crise et là : un autre impact Humain !
Il y a eu une vague COVID très importante dans l’établissement. Cela s’est déroulé sur trois semaines. Nous avons eu des étapes où nous avons commencé à avoir une grosse population atteinte, puis une deuxième population et la troisième semaine où nous avons eu plus de résidents et personnel atteints. La COVID a touché les équipes de soin et les résidents. ll a fallu pallier majoritairement à cette vague COVID qui a nécessité des isolements en chambre des résidents. Donc pas la même prise en soins, pas la même distribution des repas, pas la même animation.
Il a fallu aussi recruter de manière très intensive, dans un contexte encore plus délicat que la première fois, pour trouver des ressources.
Nous avons dû faire appel à nos partenariats extérieurs, en contactant Pôle Emploi, des écoles de formation métier… Nous avons dû trouver beaucoup de main-d’œuvre en peu de temps. Il fallait remplacer le personnel absent à cause de la COVID et avoir un renfort supplémentaire par rapport à une réorganisation du travail. Il y a forcément eu un impact sur le recrutement. Un impact financier aussi. Au mois de janvier nous avions passé la grosse vague. Nous nous sommes posés et demandés : « Comment gère-t-on l’après COVID ? Que fait-on après ? »
DV : Comment avez-vous accompagné les équipes ?
A-L.M. : Émotionnellement, c’est compliqué. Il faut soutenir ! Nous avons mis en place un groupe de parole post-COVID. Nous avons fait appel à une psychologue avec l’aide de l’IRTS de Lille qui a facilité un débriefing post-COVID de chacun. Il y a des choses qui ont été douloureuses pour les agents, pour les résidents, ils avaient besoin d’échanger. Ils ont pu se voir deux fois. Pas tout de suite, car il fallait avoir le temps d’assimiler d’abord les choses, de faire son propre bilan. Puis ensuite, nous avons pu échanger sur ce qu’il s’est passé. Il y a des choses qui se sont exprimées en toute confidentialité et cela a fait du bien aux participants. C’était totalement facultatif, totalement ouvert.
JDV : À quel point a-t-il était important de faire preuve d’agilité dans ce contexte de crise sanitaire ? Et quels changements durables cela a-t-il engendré ?
A-L.M. : Nous avions bien du mal à avoir une visibilité sur ce qui allait être positif le lendemain donc, évidemment, l’organisation des équipes se faisait au jour le jour. Mais nous avons tous réussi à nous adapter. Au niveau de l’encadrement, moi-même en tant que RH, j’ai mis mon tablier et je suis allée distribuer des repas dans les ailes covid avec les agents. Nous y sommes tous allés pour montrer qu’on était là, qu’on était dans une cohérence et une cohésion, toujours là aujourd’hui.
Lors de ce débriefing COVID, on sait qu’on a pu compter sur les autres équipes. Nous étions démunis. Nous avons vécu une situation compliquée. Nous nous sommes adaptés. En a découlé une nouvelle organisation. Pendant COVID, nous nous sommes rendu compte que les résidents étaient en demande d’avoir un petit-déjeuner en chambre. Nous avons donc réalisé l’achat de matériel adapté : chariots, plateaux… L’organisation a été pensée avec les équipes et mise en place à partir du mois de juillet.
Il y a quelques mois, nous avons mis en place une démarche de qualité de vie au travail, pilotée par un groupe de travail et un questionnaire. La question des horaires de travail des agents en horaires postés semble refléter une meilleure conciliation vie perso et professionnelle.
Sur les personnes en horaires de jour, globalement, on nous a remonté plus de difficultés. Étonnamment, il est plus facile actuellement de recruter du personnel de nuit que de jour. Quand vous êtes agent de nuit, vous avez votre cycle régulier et vous faites peu de remplacements au pied levé.
JDV : Quelle est votre réalité aujourd’hui au sein de l’EHPAD ?
A-L.M. : L’impact le plus important à gérer a été l’absentéisme, il faut souvent remplacer ou recruter. Mais depuis, nous n’avons pas subi cette vague de démissions qu’on a pu entendre aux informations. On a plutôt bien maintenu le collectif et l’effectif. Nous sommes parvenus à fidéliser, dans la mesure du possible, mais nous ne sommes pas à l’abri de départs vers d’autres projets professionnels, non-inhérents à covid.
De cette crise rejaillissent des manquements au niveau de l’ensemble du secteur hospitalier, de l’ensemble des EHPAD : manque de matériel, manque de main-d’œuvre, travail difficile.
JDV : Il semble donc possible de créer une flexibilité qu’on n’imagine pas forcément possible dans les métiers de soin ?
A-L.M. : Nous avons un enjeu : faciliter le travail et reconnaître le travail qui est fait au quotidien. Cela passe par des actions managériales, une écoute de la direction de supervision, des groupes de travail, des jeudis bien-être, des possibilités d’aménagements d’horaires…
C’est important aussi d’avoir des personnes comme vous qui nous interrogez pour pouvoir expliquer que le travail est difficile, mais qu’il y a aussi des possibilités pour améliorer le quotidien des soignants. Cela passe par des choses qui sont coûteuses par moments et d’autres moins.
Chaque agent, chaque poste, a son importance dans le fonctionnement d’un EHPAD. C’est important de pouvoir travailler en coopération et je pense que nous sommes soudés. On est un petit établissement, la communication est fluide et plus rapide.
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L’EHPAD c’est une maison à gérer au service des résidents