Dr Damien Duquesne, Médecin du Travail et Addictologue

JDV : Est-ce qu’il y a des changements dans les addictions ?

D.D. : Le diagnostic de dépendance qui est apparu pendant le confinement a été celui des écrans, on a énormément développé l’outil informatique, et on sait que le télétravail favorise cette « addiction à l’écran ». Le télétravail se fait généralement en isolement et au détriment des relations d’équipe, de la convivialité en entreprise. Il y a du coup, dans ce contexte de télétravail, l’enjeu de recréer des moments conviviaux entre collègues, avec des consommations qui ne sont pas celles que l’on va voir en entreprise.
Par exemple : à l’heure de l’apéro, chacun va trinquer à la santé des autres, alors qu’en entreprise, il est beaucoup plus compliqué de consommer de l’alcool. En travaillant chez soi, chacun a sa propre réserve, contenant des boissons généralement plus fortement dosées que ce qui est autorisé dans l’entreprise.

JDV : Quelles sont les addictions que vous rencontrez le plus ?

D.D. : Les addictions qu’on relève le plus au cours des entretiens restent le tiercé :

1. Tabac,
2. Alcool,
3. Cannabis.

Derrière ce trio de tête, on va retrouver les médicaments, en particulier les somnifères et les antidépresseurs. Globalement, les personnes de plus de 40 ans, sont plutôt des consommateurs qui restent dans la consommation d’alcool et de tabac. Chez les plus jeunes, on va plutôt trouver des associations cannabis et alcool avec, bien souvent, du tabac.

Alcool et cannabis, un usage problématique au travail :*

8,6%
des salariés estiment être en difficultés avec l’alcool

7%
avec le cannabis

*Source : « Alcool, tabac, médicaments psychotropes… Les pratiques addictives restent fréquentes en entreprise » acms.asso.fr.

D.D. : Il y a deux catégories socio-professionnelles que l’on va repérer comme étant à risque. La première est celle de toutes les professions relationnelles, dans lesquelles la consommation, essentiellement d’alcool, fait partie des usages : les métiers de rencontre, d’échange, qui peuvent régulièrement se faire autour d’un repas ou d’un verre. L’autre catégorie concerne les professions qui sont soumises à des conditions psychiques particulières, fortement exposées au stress, à la solitude ou à l’ennui, ou encore, en attente d’événements aigüs. Bien entendu, il ne faut pas faire de généralisation, mais ce sont des facteurs qui ont une incidence sur la consommation.

Les pratiques addictives ont une origine multifactorielle :

– Horaires atypiques (travail de nuit, travail décalé…)
– Télétravail, travail isolé
– Moments sociaux
– Pression du public
– Travail en extérieur, au froid ou à la chaleur
– Problèmes de management
– Incertitude, flou
– Angoisse et anxiété sur l’avenir

Source : « Alcool, tabac, médicaments psychotropes… Les pratiques addictives restent fréquentes en entreprise » acms.asso.fr.

JDV : Y a-t-il une saison plus propice aux addictions ?

D.D. : Les saisons « festives », comme l’été et l’hiver, sont propices à l’augmentation des consommations. En hiver, on constate cette augmentation lors de la période des fêtes de fin d’année. Le meilleur conseil, je pense, est toujours celui de connaître ses limites et ses risques. En termes d’Auto-Prévention, on va, par exemple, favoriser la connaissance « théorique » d’un taux d’alcoolémie présentant un risque au niveau de la conduite et au niveau de la perte potentielle du permis de conduire.

Je fais le test !

JDV : Comment accompagnez-vous les entreprises ?

D.D. : Quel que soit le produit consommé, notre but est de repérer les facteurs qui sont à l’origine du passage à l’addiction et de pouvoir accompagner au mieux dans les étapes du changement. On va pouvoir accompagner l’entreprise dans son éveil sur le sujet des addictions au sein de ses équipes. Pour cela, on peut réaliser une expérience en trois étapes (avec réponses anonymes) avec des salariés qui sont en groupe projet, tirés au sort ou qui viennent en sensibilisation :

1. Selon vous, quel est le produit qui a aujourd’hui l’impact le plus négatif dans votre entreprise ?

2. Avec les produits cités, que peut-il se produire en termes de risques dans votre entreprise ? À travers les réponses, on réalisera une évaluation des risques par secteur, par métier, par des choses qu’on n’avait pas envisagées. Parce que les salariés vont aussi reprendre les histoires qui ont déjà été vécues.

3. Qu’attendez-vous de votre entreprise pour réduire les risques liés aux consommations dont on vient de parler ? Il s’agit là du passage de l’évaluation des risques au plan de prévention construit avec les salariés.

JDV : Avez-vous des préconisations concernant la consommation du CBD* ?

D.D. : Tout d’abord, le CBD est un produit relativement récent qui se développe énormément et pour lequel il y a plusieurs points d’attention. Ce produit va pouvoir être utilisé dans des sevrages au cannabis, et donc potentiellement permettre de sortir d’une dépendance.

On observe aujourd’hui des personnes qui ne sont pas fumeuses de cannabis, se mettre à consommer du CBD. Le risque de cette consommation est l’accoutumance**. Comme tout psychoactif, le CBD modifie le contact avec la réalité, il n’est donc pas sans danger ! La question de fond à se poser quand on ne se sent pas bien, physiquement ou psychologiquement, est de se demander ce qu’on doit mettre en œuvre pour aller mieux, sans risque pour sa santé.

*Le Cannabidiol (CBD, Cannabis CBD ou chanvre) est une molécule présente dans le Cannabis.
**Moment où un produit ne répond plus à mes attentes, je passe à l’étape d’après en passant à un autre produit ou en augmentant la dose.

En France,
la dose autorisée concernant le CDB
est de 0,2% de THC

Je fais le test !

JDV : Quels sont les risques du vapotage ?

D.D. : Le risque est principalement lié aux produits que l’on va mettre dans la vapote. Il est important de bien s’informer sur le produit utilisé et de se méfier des produits composés des produits « cocktails ». Pour reprendre l’exemple du CBD, il existe aujourd’hui des huiles contenant soi-disant du THC. Mais ça n’en est pas toujours ! Les personnes qui vapotent, s’échangent bien souvent des produits, rendant impossible le contrôle de ce qu’il y a dans la vapote. Vous pouvez parfois avoir de vrais cocktails. C’est comme ça que progressivement, selon moi, il y a une initiation à des consommations à risque.
L’autre risque avec le vapotage est de développer une addiction. Il faut se demander ce qu’on attend du vapotage. Est-ce une attente psychique ? Le troisième point qui n’est pas encore complètement élucidé : quel risque prend-on, à long terme, d’inhaler et avoir sur les voies digestives et respiratoires un produit qui peut être chaud ? On est sur un environnement qui n’est pas l’air naturel en termes de chaleur et de concentration en produits chimiques. On connaît aujourd’hui l’influence des polluants atmosphériques sur le développement de cancers, ce qui soulèvent de réelles questions sur le vapotage.

Il est interdit de vapoter dans :

• Les établissements destinés à l’accueil, à la formation et à l’hébergement des mineurs ;
• Les moyens de transport collectif fermés ;
• Les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif (locaux recevant des postes de travail situés ou non dans les bâtiments de l’établissement, fermés et couverts, et affectés à un usage collectif, à l’exception des locaux qui accueillent du public).

Écoutez le podcast « Prévenir des addictions au travail »