Émilie Laporte, conseillère en prévention
Équipe PÔLE SANTÉ TRAVAIL
JDV : Quels changements et évolutions observez-vous en entreprise sur le bien-être au travail ?
E.L. : J’exerce ce métier depuis 2010 et je note une évolution franche des préoccupations au niveau du bien-être et de la santé dans le monde du travail. Les personnes sont de plus en plus en demande de conseils sur tous ces sujets, les questions sont souvent très vastes et vont bien au-delà de la prévention des risques. Cela va des conditions de travail, au sens global, à la conciliation vie pro et vie perso, en passant par la nutrition, la condition physique, la gestion du stress… Les champs d’attentes sont très larges.
Nous avons malheureusement vu des initiatives suspendues pendant la crise sanitaire, même si elles tendent à se remettre en place progressivement, mais nous faisons clairement face à de vraies demandes d’accompagnement au sein des entreprises que nous suivons.
JDV : Quelles sont les initiatives que vous voyez se mettre en place ?
E.L. : Il y a, dans de très nombreuses entreprises, une réelle envie et motivation de bien faire les choses et de créer des conditions de vie et de travail propices au bien-être de leurs collaborateurs.
Je découvre par exemple des locaux où l’employeur a banni les distributeurs de snacks (qui ont rarement une valeur ou un intérêt d’un point de vue nutritionnel) au profit de corbeilles de fruits à volonté dans les espaces de restauration.
On voit apparaître de plus en plus d’espaces dédiés au bien-être, au sport, à la cuisine, dans les entreprises, permettant aux équipes de vivre des moments de pause sains et conviviaux, bons pour leur santé mentale et physique.
La démocratisation du télétravail a contribué à ce que l’on cherche à maintenir cet équilibre entre le pro et le perso, même sur les moments en présentiel au sein de son entreprise.
Je veille toujours, lors de mes visites, à faire de la sensibilisation sur le télétravail et la sédentarité, l’importance de continuer à bouger. Je prends généralement le temps de montrer le type de mouvements faciles à pratiquer régulièrement, au travail et chez soi.
Il est important de veiller à rompre l’isolement des télétravailleurs. Celui-ci peut être plus ou moins bien vécu et il est important d’encourager les collaborateurs à avoir des contacts réguliers avec leurs collègues, avec des proches, sur les moments de pause. J’essaie toujours d’encourager les gens à activer leur caméra lors des visios en télétravail, par exemple. Avoir le visuel, les sourires ou expressions est vraiment primordial dans la communication et permet de rester connectés les uns aux autres de manière plus tangible qu’au simple son de la voix. Cela permettra également d’identifier plus facilement si quelqu’un éprouve des difficultés.
En télétravail il est important de :
Bien manger – Bouger – S’organiser – Rompre l’isolement.
La minute socio !
La crise sanitaire de 2020 a accéléré les transformations du monde du travail. Télétravail, flexibilité, nouveaux espaces, semaine de 4 jours… autant d’évolutions et de nouveaux rythmes qui posent question pour notre capital social, fondamental dans le travail en entreprise.
Le mode distanciel, les visioconférences notamment, bousculent le collectif.
• Moins de moments de discussion improvisés devant la machine à café
• Moins de moments d’intelligence collective
• Moins de transmission
• Moins de parcours d’intégration
• Moins de fous rires, de lâcher prise, de pauses, de retours de week-end ou de congés…
Les évolutions du travail avec moins de collectif peuvent entraîner une RUPTURE DU LIEN SOCIAL pourtant nécessaire pour notre santé mentale et pour les organisations.
Quand le travail c’est interagir par mails, chat, visio, toute la journée, on se coupe, on s’isole, on est privé de lien social.
Quand prenons-nous encore le temps du VIVRE ENSEMBLE ?
La collaboration à distance n’est d’ailleurs pas naturelle pour notre cerveau. Les communications écrites, orales, privent des informations non verbales que nous captons inconsciemment.
Un sourire, un regard, une tension du visage, une grimace… Autant de postures et de comportements qui nous informent et qui enrichissent les liens sociaux et les interactions au sein des groupes. Et la visio ne suffit pas à remplacer l’échange direct !
Autre phénomène observé : le travail s’intensifie avec une explosion des informations à traiter.
Les journées s’allongent. La déconnexion et les moments de pause informels sont gommés. La fatigue apparaît ! La lassitude aussi !
N’oublions pas que le capital social joue un rôle majeur dans l’équilibre du bien-être et des organisations. Les salariés situent d’ailleurs en seconde place des raisons de leur engagement, le collectif et les collègues. Juste derrière l’équilibre vie pro et perso sur la plus haute marche. Et seulement en 3ème place le salaire*.
*Source : Baromètre DRH – Décembre 2022.
JDV : Quels conseils et Caring Routines pourriez-vous nous partager ?
E.L. : Je suis très attachée à certaines routines que je trouve vraiment structurantes, mes Caring Routines à moi ! Les jours de télétravail, je veille à consacrer le temps que je passerais normalement dans les transports à faire quelque chose pour moi. Ça peut être faire une séance de sport, seule ou en ligne, je pratique la cohérence cardiaque, je m’occupe des plantes ou de l’extérieur, j’amène les enfants à l’école à pied au lieu de le faire en voiture, je choisis le trajet le plus long plutôt que le raccourci avant de démarrer le travail…
Tout ce qui permet de rythmer la journée en ayant ces moments « care » où je prends soin de moi.
Sans cela, il peut vraiment être difficile de respecter son propre droit à la déconnexion et on peut être encore plus happé par le travail qu’en se rendant au bureau.
Je conseille toujours également de ne pas déjeuner ou manger à l’endroit où l’on travaille, même chez soi ! Il faut s’octroyer de vrais moments de coupures dans la journée.
Au contact de ses collaborateurs, j’aime souvent rappeler qu’il faut environ 17 secondes aux personnes avec lesquelles nous interagissons pour absorber les effets de notre humeur, qu’elle soit positive ou négative. Il est toujours bon de se demander quelle balle de couleur on souhaite envoyer à son interlocuteur : noire, rouge, verte, orange… Cela peut devenir un vrai outil de dialogue entre collègues, facilitant les échanges. Des phrases comme « Attention, tu viens de m’envoyer une balle noire ! » peuvent permettre d’attirer l’attention sur la couleur négative et pas forcément constructive d’un moment d’échange.
Je fais également énormément de sensibilisation sur tout ce qui est activité physique et mouvement. Et ça peut devenir tellement ludique à faire entre collègues.
La règle d’or c’est « Regarder à 20 pieds, pendant 20 secondes, toutes les 20 minutes » !
Pratiquer ça avec attention c’est déjà prendre soin de soi. Traverser un long couloir en squats plutôt que marcher vers le bureau d’un collègue, s’étirer régulièrement les épaules à l’aide d’un mur, s’étirer les cuisses, le dos…
Il n’y a pas nécessité de faire long ou compliqué, mais vraiment de veiller à BOUGER régulièrement. En entreprise, on ne conseillera pas forcément les mêmes mouvements aux mêmes personnes. On essaie de prendre en compte les problématiques et contextes des différents métiers. Mais il y a toujours de nombreuses possibilités de le faire. Et se motiver à plusieurs aide souvent énormément.
Tous les conseils que je partage, je me les applique à moi-même et ce sont des choses vécues, testées, approuvées, qui font une réelle différence dans ma qualité de vie. Je parle de ce que je vis et je partage ce que je fais.
JDV : Et au niveau collectif, voyez-vous de nouvelles tendances émerger ?
E.L. : Au niveau collectif, on observe que les entreprises qui favorisent les activités en équipe ont souvent des collaborateurs épanouis et qui se sentent bien au niveau professionnel.
Les initiatives comme organiser des ateliers sur les pauses-déjeuners pour créer de la convivialité, du partage et des moments fun et plus légers, ont de réels bénéfices au sein d’un collectif de travail.
Cela crée un sentiment d’appartenance et un attachement qui sont réels et contribuent à la productivité des équipes.
Organiser des ateliers (DIY*, jeux de société, sport, marche, activités manuelles, respiration, méditation) sont autant de bonnes idées pour rythmer les semaines et créerune dynamique de groupe. Le mardi, par exemple,peut être une bonne option pour les activités de groupe.
« Mardi » vient du latin et signifie « jour du dieu Mars », « dieu de la guerre ». Cela peut être la journée qui semble compliquée dans une semaine. La transformer en journée de la convivialité et du partage peut prendre tout son sens.
Toutes ces petites actions permettent de cultiver une atmosphère positive qui profite au bien-être et à la santé des collaborateurs, au collectif, aux modes d’organisation et donc à la santé et pérennité d’une entreprise.