Quels sont les impacts 18 mois après le début de la crise sanitaire
pour les métiers de la restauration ?
Équipe DRH dans la restauration
JDV : La crise sanitaire impacte très spécifiquement des métiers comme le vôtre. Quels en sont les effets aujourd’hui après 18 mois de crise ?
M.T. : Après la longue phase de fermeture qui nous a été imposée, nous avons beaucoup travaillé pour relancer nos activités et réouvrir tous les restaurants. D’abord nous avons commencé par reprendre contact avec toutes les équipes pour identifier les salariés qui reprenaient avec nous et ceux qui s’étaient déjà reconvertis ou ne souhaitaient pas revenir.
On a donc découvert qu’on avait environ 60 % des équipes prêtes à redémarrer.
Et ça n’est pas simple de recruter dans ces métiers de la restauration si on recherche des personnes formées et expertes, côté cuisine ou coté salle tant le secteur est en pénurie de main d’œuvre. C’est tout un modèle qui doit se réinventer. Les salaires ne sont pas au niveau des attentes des équipes. Nous avons dû les réadapter, jusqu’à une réévaluation de 20 % pour certains salaires et métiers.
JDV : Et pour les 60 % des équipes qui ont repris, quels étaient les enjeux et quel accompagnement spécifique avez-vous mis en place ?
M.T. : L’enjeu est clair. Nous devons repenser toute la politique humaine. Cela va de la politique salariale, en passant par les parcours de mobilité, la formation, l’intégration, la cohésion des équipes, la prise en charge de leur santé et de leur bien-être avec de nouveaux risques inhérents à cette crise qui est aussi une crise sociale. Il ne faut pas négliger et oublier que cette crise est sanitaire et sociale !
Un autre enjeu majeur qui s’est confirmé et amplifié, c‘est la recherche de sens, de reconnaissance de son métier. Cette crise a montré l’utilité des métiers les moins reconnus en temps normal. Tous les métiers de services à la personne, les petits boulots étaient négligés. Là, on se rend compte qu’ils sont tout aussi essentiels à nos vies.
Cette reconnaissance de l’utilité de ce que chacun entreprend est un enjeu majeur de cohésion dans les entreprises.
JDV : Justement, quand vous parlez de repenser la politique humaine, est-on sur des échéances à court terme ou est-ce que ces changements vont être plus durables ?
M.T : À mon avis nous ne reviendrons pas en arrière. Surtout que nous ne sommes toujours pas sortis de cette crise et qu’on ne sait pas si on en sortira vraiment. On commence à nous dire que nous devons apprendre à vivre avec ce virus.
Comme je le disais, la crise sociale est aussi le révélateur de changements culturels importants.
Je parlais du besoin de reconnaissance, de sens ! Il n’y a pas une semaine sans que nous ayons des remontées des équipes sur leur volonté de jeter moins de déchets, de demandes de clients qui souhaitent de nouvelles alternatives en restauration, de nouveaux plats ou menus, végétariens, réalisés avec des produits locaux ou made in France. Les clients sont particulièrement en attente d’informations sur ce qu’ils mangent, la traçabilité des produits, les conditions de travail des salariés…
C’est une transformation profonde qui s’était mise en route et qui accélère. Stratégiquement, si nous voulons durer, nous devons en tant que dirigeants repenser nos stratégies en tenant compte de la nouvelle donne sociale, écologique, économique et technologique.
JDV : Pourquoi parlez-vous d’une nouvelle donne technologique ?
M.T : C’est l’autre grande mutation à accompagner. Il y a bien entendu le réchauffement climatique et l’enjeu environnemental auquel nous sommes tous confrontés. Et il y a aussi l’explosion du numérique. Nous l’avons bien vu durant cette période de fermeture. Nos activités ont pu continuer partiellement avec les livraisons et les commandes passées en ligne. Nos équipes ont pu maintenir le lien entre elles ou avec nous grâce au web. Sans les visios et les points réguliers, on se serait totalement perdus de vue et on n’aurait pas pu maintenir la proximité, communiquer, informer, rassurer, garder le contact et le lien.
Notre mission désormais c’est d’accompagner ces transformations profondes de nos sociétés dans le monde du travail. Apprendre à travailler autrement, avec de nouveaux moyens, de nouvelles attentes des équipes, de nouveaux liens, de nouvelles contraintes, de nouveaux risques aussi !
JDV : Quelles seront les clés pour réussir ces transformations du travail ?
M.T : Le collaboratif. Faire ces transformations ensemble. Si nous ne parvenons pas à maintenir la cohésion entre nous, nous n’arriverons pas à changer pour nous adapter à la nouvelle donne. On doit rentrer dans un mode participatif avec nos équipes. Nous mettons d’ailleurs en place des outils, des moments, des formations pour cela. Nous devons être à l’écoute de ce que les équipes vivent sur le terrain. Elles ont beaucoup de bon sens. Elles ont montré qu’elles savaient être agiles, flexibles, innovantes. Il y a eu aussi du bon dans cette crise ! Beaucoup de solidarité, d’entraide, de mobilisation ! On doit prolonger cette dynamique positive. On veut faciliter la transversalité, développer les démarches RSE, donner plus d’autonomie, de liberté et de pouvoir d’agir sur le terrain.
Moins de centralisation et de technique pour plus d’Humain !