Interview Marie-Bernadette CLEENEWERCK

Dermatologue et Médecin du Travail

JDV : Quels sont les métiers en extérieur les plus touchés ?

M-B. : Les jardiniers, les paysagistes, les fleuristes, les maraîchers (qui s’occupent des panais, des artichauts, du céleri…), les horticulteurs (qui trient les bulbes d’oignon, les jacinthes), les agriculteurs, les métiers de la sylviculture : les forestiers, les bûcherons…

Tous les métiers du Bâtiment et des Travaux Publics (couvreurs, goudronneurs, bitumeurs, terrassiers, ouvriers des travaux de voiries…) sont exposés aux risques solaires Ultra-Violets, aux risques de cancers cutanés et parfois aux risques d’exposition à des produits phototoxiques. Cette liste de professions n’est pas exhaustive.

Pour s’en prévenir, le port d’E.P.I. (Équipement de Protection Individuelle) et le recours à une protection cutanée solaire sont indispensables (lunettes, chapeaux à larges bords, vêtements à manches longues, crèmes écrans solaires…).

Dans tous ces métiers existent par ailleurs des problèmes potentiels de dermatites de contact irritatives ou allergiques. Des tests épicutanés permettent de préciser la cause de ces diverses allergies ! Nous pouvons vous renseigner !

JDV : Quelles allergies cutanées constatez-vous pour des professionnels au printemps ou en été ?

M-B. : Au printemps et en été, des problèmes cutanés dus aux contacts avec les plantes peuvent être observés. Il existe d’abord des risques d’irritation de contact d’origine mécanique qui résultent de traumatismes de la peau, par exemple, par une épine ou une écharde, mais également des risques irritatifs chimiques dus aux composants des plantes (par exemple, les bulbes d’oignon, les jacinthes, les tulipes)…

Ces dermatites d’irritation peuvent aussi favoriser l’apparition de dermatites allergiques de contact. Ces dernières à type d’eczéma peuvent être constatées  avec les jonquilles, les narcisses, les alstroemerias, les primevères, les tulipes… mais aussi avec des mousses d’arbres (par exemple, avec le frullania qui est une mousse du chêne).

Les dermatoses de contact dues aux plantes s’appellent des phytodermatoses.

Il existe également des dermatoses liées au rôle des UV solaires et des contacts cutanés concomitants avec des substances végétales. Celles-ci sont appelées photophytodermatoses. Certaines sont phototoxiques et entrainent, par exemple, la dermatite des prés (aussi appelée dermatite d’Oppenheim) qui se traduit par une éruption cutanée érythémateuse (rougeurs), bulleuse (« petites cloques ») et prurigineuse (démangeaisons). Ces lésions apparaissent chez des sujets exposés au soleil qui ont eu des contacts cutanés avec de l’herbe humide. Cette dermatose reproduit alors l’image de la plante (brins d’herbes ou nervures de feuilles) sur la peau insolée. Elle est favorisée par la transpiration, l’humidité ambiante ou la prise préalable d’un bain.

D’autres dermatites de contact phototoxiques sont quelquefois également observées comme la dermatite en « breloque » induite par des parfums ou des cosmétiques qui contiennent certaines substances végétales, appliquées sur la peau, puis exposées au soleil.

Il existe aussi, des photodermatites allergiques de contact avec divers végétaux ou bois. Il faut être en alerte dès les premiers symptômes pour les traiter et favoriser l’éviction des risques.

 

« Au printemps et en été, des problèmes cutanés dus aux contacts avec les plantes peuvent être observés. »

Une dermatite est une inflammation superficielle de la peau caractérisée par une rougeur, un œdème, parfois associée à des vésicules suintantes, des croûtelles, et des squames…

JDV : Quels produits professionnels sont à risques en été mais aussi en toute saison ? 

M.B. : Parmi les produits dits nettoyants d’entretien, certains contiennent par exemple de l’hydroxydede sodium et sont très alcalins, d’autres produitssont composés d’acides forts. S’ils sont manipulés avec des gants inadaptés aux risques (gants fins à manchettes courtes) des dermatites d’irritation de contact pouvant aller jusqu’à la brûlure chimique peuvent être constatées.

Les professions de l’entretien sont à risques en raison de l’emploi de produits nettoyants, parfois pulvérisés sous forme de spray ou à l’aide de karcher qui entraînent une dispersion de gouttelettes au niveau de la zone de travail. Par exemple, un employé travaillant dans une rôtisserie qui se penche sous la rôtissoire peut avoir des risques de brûlures s’il reçoit des gouttelettes de produit décapant ou nettoyant puissant ayant été préalablement utilisé.

Dans le BTP, il y a également des risques de brûlures chimiques liés au contact de la peau avec le ciment qui est un produit alcalin et donc caustique, à la fois irritant et allergisant.

Dans les métiers de l’alimentation et la restauration, il existe des risques liés aux contacts avec des protéines alimentaires animales (viandes, poissons) ou végétales (fruits et légumes) qui peuvent déclencher des allergies cutanées. Dans ces professions de la restauration, les manipulations de produits nettoyants, très efficaces en termes de décontamination peuvent être aussi à risque cutané.

Il y a également des dermatites allergiques de contact à type d’eczéma ou d’urticaire de contact dans tous les secteurs professionnels : par exemple, la coiffure : composants des teintures capillaires, les produits de décoloration, les liquides de permanente ;
l’esthétique : parfums, conservateurs dans divers cosmétiques…

À l’heure actuelle, il convient d’évoquer le rôle d’un allergène émergent qui se nomme la méthylisothiazolinone, en abréviation : MIT, conservateur dans certains savons liquides pour l’hygiène cutanée des mains et dans d’autres produits…, à l’origine de nombreuses dermatites allergiques de contact.

JDV : Quels types de maladies cutanées observez-vous ?

M.B. : Surtout des dermatites irritatives et allergiques de contact professionnelles. Une exploration allergologique par tests épicutanés s’avère indispensable en cas d’eczéma ou d’urticaire de contact, pour mieux préciser la ou les causes potentielles.

Par ailleurs sont observés de nombreux cas de mycoses de la peau et des ongles. Parmi les autres dermatoses, citons : la dermatite atopique (ou eczéma constitutionnel), le psoriasis, des ectoparasitoses surtout la gale acarienne humaine, des tumeurs cutanées bénignes ou malignes…
Quand elles sont malignes, ce sont des cancers cutanés : des carcinomes (soit basocellulaires, soit épidermoïdes) ou des mélanomes…

JDV : Quelles peuvent être les causes aggravantes ?

M.B. : Il faut souligner le rôle du tabagisme actif et passif. Les fumeurs, à exposition solaire et à phototype égaux, ont des risques de vieillissement cutané plus importants.

Les COV (Composés Organiques Volatiles, polluants chimiques) ne semblent pas induire à eux seuls des symptômes allergiques (comme l’asthme) mais ils peuvent agir comme co-facteurs, chez des enfants atopiques.

Certaines dermatites de contact peuvent aussi être provoquées par des composants irritants ou allergisants véhiculés par l’air ambiant. Ces dermatites sont appelées aéroportées. Elles peuvent être parfois provoquées par des composants de parfums ou par certaines fumées, vapeurs ou poudres aérodispersibles qui se répandent dans l’environnement du poste de travail.

JDV : Existe-t-il des types de peaux plus sujets que d’autres aux risques dermatologiques ? 

M.B. : Oui, il en existe notamment au niveau des risques potentiels de dermatites irritatives de contact. Par exemple, un sujet atteint d’une dermatite atopique (eczéma constitutionnel) présente d’emblée une peau plus sèche et donc plus facilement irritable, notamment en milieu professionnel. Toutes les peaux exposées aux travaux dits en milieu humide ou à d’autres produits irritants sont à risques.

Les sujets de phototype clair (yeux clairs, peau blanche, cheveux blonds ou roux) ont plus de risques de développer un mélanome notamment en cas d’antécédents « de coups de soleil », à type de brûlures, pendant l’enfance ou en cas d’antécédents personnels et familiaux de mélanome. Une protection vestimentaire et d’autres protections cutanées (crèmes écrans solaires…) adaptées sont nécessaires pendant le travail et au cours des loisirs. 

Les 10  gestes pour prévenir ces différents risques cutanés

1/Choisir des produits d’hygiène cutanée contenant le moins possible de parfums et de conservateurs

2/Pour les cosmétiques appliqués quotidiennement sur la peau, éviter également ceux contenant des parfums notamment sur les zones cutanées fréquemment exposées au soleil 

3/ Continuer au printemps et en été à bien hydrater quotidiennement la peau, notamment dans tous les métiers exposant aux risques de sécheresse cutanée

4/ Choisir dans cette perspective des crèmes plus ou moins épaisses
et non parfumées et recourir à l’emploi d’onguents ou de baumes réparateurs en cas de sécheresse très importante de la peau (mains)

5/ Maintenir le port d’E.P.I. adaptés aux risques encourus lors du travail (gants, lunettes de protection…)

6/ Ne pas oublier également de porter une protection cutanée adaptée pour les activités extra-professionnelles (loisirs : bricolage et jardinage ; travaux d’entretien et de nettoyage…)

7/ Prévoir une protection solaire adaptée pour les professionnels exposés aux UV mais aussi au cours des loisirs.
Privilégier la protection vestimentaire sans négliger l’intérêt des crèmes de protection de type écran total. C’est primordial pour les phototypes clairs mais non négligeable également pour tout autre phototype ! 

8/ Ne pas faire réaliser de tatouages éphémères au henné noir en raison des risques cutanés allergiques importants, dus à un colorant ajouté au henné naturel ! 

9/Pratiquer l’auto-surveillance clinique des « grains de beauté » (naevi pigmentaires) et consulter un médecin, en cas de modification de leur aspect clinique ou au moindre doute

10/ Savoir consulter sans tarder son médecin traitant ou son dermatologue, en cas de survenue d’une nouvelle tache cutanée pigmentée « plus ou moins noire» qui s’avère évolutive