Les transformations du travail s’accélèrent dans la contexte actuel

Interview Stéphanie B. Médecin du Travail

JDV : Quel bilan faites-vous de l’année 2020 ?

S.B. : Au début de la crise, les personnes se disaient « on va rendre service » ! Il y a eu un élan de solidarité collectif, les salariés se sont portés volontaires pour faire des heures supplémentaires et compléter les équipes. Les charges de travail ont progressé. C’était épuisant et dans la durée c’est ce qui a provoqué de la fatigue physique mais aussi morale. Nous avons accompagné des personnes qui avaient peur de perdre leur emploi. Elles voulaient garder leur travail, coûte que coûte ! Certains arrivant à saturation, avec une surcharge émotionnelle et de travail trop importante.

On a pu observer des tendances, opposées, parfois vécues comme des injustices : lors des confinements, il y avait ceux qui pouvaient bénéficier d’un arrêt, pour la garde d’un enfant par exemple, et ceux qui devaient continuer de travailler. Puis il y avait ceux qui avaient un métier dit « essentiel » et qui ont continué à travailler et ceux qui avaient un métier, par opposition, « non-essentiel », et qui souvent ont été mis en chômage partiel.
Il y a forcément un sentiment d’inégalité qui est apparu et qui s’est renforcé avec le second confinement. Je pense que l’on retrouvera ces tendances opposées désormais. Pour exemple, beaucoup d’entreprises, je pense, vont conserver le télétravail au moins partiellement pour les postes compatibles. Il y a comme une forme de concurrence qui apparaît entre ceux qui ont le droit de faire du télétravail et les métiers qui ne peuvent pas télétravailler. En plein rush de crise, on ne le voit pas trop, mais dans l’après-crise, cela va laisser des séquelles.

JDV : En tant que médecin du travail, pourriez-vous nous éclairer sur les nouvelles formes de vulnérabilités que vous observez ?

S.B. : On a quand même perçu un sentiment d’isolement (social) et on sent une lassitude avec l’isolement social. On a besoin de relationnel et de contact humain. Passer au tout dématérialisé, c’est un peu compliqué.
Avec les restrictions sanitaires, tous les comportements sont limités, ils ne sont plus spontanés. On ne s’embrasse plus, on ne se serre plus la main alors qu’on a besoin de partager, de voir du monde. C’est l’essence même de l’humain. Cela met une barrière de plus lorsqu’on a un échange. On se tient à distance, on a les masques, on ne voit plus les sourires. On a perdu en convivialité, qui met en confiance, qui apaise. Il faut savoir rire avec les yeux !

Ce que je vois aussi se développer, c’est la peur d’être infecté. J’ai eu des échanges avec des salariés qui ne se sentaient pas complètement protégés sur leur poste de travail. Il fallait trouver un moyen de contacter l’employeur pour le soutenir dans les mesures à mettre en place, mettre à disposition les documents récents – les expliciter, les rencontrer sur site pour revoir l’organisation et faciliter le dialogue entre les salariés et l’employeur.

JDV : Quel est l’effet majeur de cette crise selon vous ?

S.B. : C’est le contexte global du burn-out ! Il y a des tensions et difficultés personnelles avec les changements de planning, les modes de garde d’enfants à adapter, l’absence des collègues malades de la COVID-19 ou d’un cas contact qu’il va falloir remplacer…
L’épuisement est là avec des burn-out personnels et professionnels. C’est la vie complète qui est touchée ! Pro et perso !

Les risques psycho-sociaux vont devoir être anticipés et être pris en compte.

Il devrait y avoir des cellules de « reprise » au même titre qu’il y a eu des cellules de « crise » notamment pour ceux qui ont été mis au chômage partiel. Dans certaines chaînes de restauration, les salariés avaient quand même des e-formations pour garder un lien et pour se tenir à jour des évolutions, je trouve cela honorable…
Il faut maintenir les liens pour ne pas laisser le sentiment d’isolement, d’incertitude se développer, la crainte de perte d’emploi par exemple.

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