Quelles évolutions dans l’accompagnement Santé Travail ?

Interview Oriane S. Médecin du Travail

JDV : Comment les équipes de PÔLE SANTÉ TRAVAIL se sont adaptées pour accompagner ces changements ?

O.S : On doit composer avec les particularités, les peurs, et les choix de chacun. On se rend compte que la COVID-19, c’est quelque chose qui divise et crée des tensions dans l’équipe.

D’un côté, on a, à des degrés divers, des personnes qui disent, « oui c’est juste une grippe, on en a marre, on veut juste retrouver la vie normale d’avant. » D’un autre côté, des personnes qui disent « J’ai peur, c’est grave. Il faut faire attention. » Chacun a une part de vérité dans son discours !  Mais tout ça au sein d’une même équipe crée des tensions. Se rajoute à cela ceux qui peuvent être en télétravail et ceux qui doivent rester en présentiel. Alors, c’est le collectif qui souffre ! On doit pouvoir continuer de travailler en équipe. 

On doit vivre nous aussi de nombreux changements : adapter nos systèmes informatiques, avec des moyens qui ne vont pas toujours aussi vite que les changements eux-mêmes, inventer de nouvelles missions pour accompagner les entreprises, comme la mise en action de la campagne de vaccination contrariée par le manque de doses… Il faut aussi pouvoir accompagner y compris chez nous tous ceux qui ne vont pas bien. Au final, comme dans de nombreux autres métiers, nous devons continuer notre mission tout en intégrant l’urgente nécessité de gérer cette pandémie, sans avoir le temps de préparation et d’organisation nécessaires. Ce qui tient parfois d’une mission d’équilibriste, je dirais !

JDV : On parle d’un monde en mutations, quelles sont celles, selon vous, qui arrivent au sein de la Santé au travail ?

O.S : On aimerait tous se projeter ! Mais ça devient de plus en plus compliqué parce que cette crise nous a coupé l’herbe sous le pied ! Et on se dit qu’on ne peut plus faire de projets. Ce qui est très compliqué, car on a besoin de projets pour continuer d’avancer. Donc, à la fois il y a la COVID, qui est une épée de Damoclès sur nos têtes, et il y a en parallèle toutes les évolutions de la Santé au Travail avec l’ANI (Accord National Interprofessionnel). On se pose les questions… forcément ! Comment cela va être appliqué, quelles seront les futures évolutions… Car ça va continuer d’évoluer.

J’ai envie de penser qu’on aura toujours besoin d’un Médecin du Travail et qu’on s’oriente de plus en plus vers un travail en équipe. C’est ce qu’on fait déjà heureusement, plus ou moins intelligemment aujourd’hui. Parce qu’on est quand même dans un monde qui se complexifie, on a besoin de compétences diverses. On a de plus en plus besoin de recrutements de Médecins, et pas seulement dans la Médecine du Travail, mais aussi dans toutes les autres spécialités !

Je pense qu’on va faire évoluer le modèle qu’on le veuille ou non. Soit on le fait de manière proactive en accompagnant le changement, soit on ferme les yeux et on se dit « non, non, non, ça ne changera pas », mais en fait, on le voit bien, la Médecine du Travail cela ne fait que changer, et cela, depuis sa création vers 1945.

JDV : Vous mettez en avant le travail en équipe…

O.S : Le travail en équipe, c’est vraiment quelque chose qui va devoir se développer et il y aura sans doute le rôle des infirmiers et des Infirmières qui va s’accentuer. C’est un sujet qui me parle particulièrement. 

C’est un vrai sujet et il y a aussi une vraie attente des Infirmiers et des Infirmières qui ont besoin qu’on leur laisse plus de place. Le Médecin peut avoir peur et se poser la question « Est-ce que l’Infirmière va prendre mon travail ? Est-ce que je vais toujours avoir ma place ? » Je pense que du travail, surtout en matière de santé et de prévention, il y en a pour tout le monde. Avec les transformations et les mutations en cours il y a tellement à faire !

Je pense également que l’informatique va continuer à se développer, tout comme la télémédecine a fait un bond en avant dernièrement avec le confinement. Je ne pense pas, par contre, que cela devienne une norme pour autant demain, car en tant que médecin, on a besoin de voir les gens. Du contact humain. 

JDV : Quelles sont les spécialités les plus adaptées à la télémédecine selon vous ?

O.S : Il y a à la fois les métiers et les situations de santé qui font que ça pourrait être compatible ou non.

Je vais d’abord parler de situation de santé, car ça me paraît logique. Quand par exemple, c’est quelqu’un qui vient parce qu’il ne s’entend pas avec son chef. On peut en parler et on n’a pas besoin de l’examiner. Mais encore faut-il être suffisamment à l’aise devant une caméra pour pouvoir se livrer. La relation est quand même différente. Et ça dépend vraiment de la personnalité de la personne. Et ensuite, si c’est quelqu’un qui souhaite me voir parce qu’il a mal au dos, je vais devoir le voir de visu et l’examiner. 

Au niveau des postes de travail, ça peut paraître bête, mais j’ai constaté que, quand on fait une téléconsultation avec par exemple un ingénieur en informatique, le processus pour se connecter et faire la visio est assez simple. Par contre, si on fait ça avec quelqu’un qui n’a pas l’habitude de la visio et des nouvelles technologies, il y a de fortes chances qu’on passe beaucoup de temps à essayer de faire fonctionner le système informatique, en perdant alors un temps précieux pour s’occuper de la personne et de sa situation de santé. 

La fracture numérique existe vraiment, il y a des disparités énormes au niveau de l’utilisation et de l’aisance qu’on peut avoir avec l’informatique. Il y a aussi la robustesse des systèmes informatiques. En tant que Médecin du Travail, quand vous passez 20 minutes à vous battre contre un système qui ne marche pas, c’est du temps perdu et c’est usant ! Nous parlions toute à l’heure du cas où un salarié de s’entend pas avec son chef, on se dit de base que ça va être simple en téléconsultation si cela fonctionne parfaitement…. sauf si le système informatique coupe toutes les 10 minutes, auquel cas s’il faut que la personne répète à plusieurs reprises des choses qui sont parfois difficiles à partager, à un moment non seulement tout le monde va perdre le fil, mais ensuite la personne aura plus de mal à se confier, inévitablement. La télémédecine a des limites, mais je pense que ça va continuer à se développer. Et donc à s’améliorer !

Dans le récent accord national de l’ANI (Accord National Interprofessionnel), il a été à nouveau souligné l’accent à mettre sur la prévention primaire (qui agit en amont de la maladie). Je pense qu’il faut effectivement la développer davantage parce qu’on ne peut pas continuer à faire juste le pompier et continuer à éteindre les incendies, en intervenant une fois que les salariés sont au bout du rouleau… Il faudrait pouvoir intervenir en amont, et être davantage proactifs.

*Accord des partenaires sociaux en décembre 2020 qui a abouti à la Loi du 2 Août.

JDV : Quels sont les enjeux désormais pour la santé au travail ?

O.S : Les salariés, les employeurs, les personnes, ont besoin qu’on s’occupe d’eux, qu’on les écoute, qu’on cherche des solutions ensemble. Sans les infantiliser. Ce qui ne veut pas dire imposer des solutions. Faire ensemble. Ce qui est très différent.
Je veux croire que nous avons les ressources nécessaires pour faire face. Pour cela, il faut pouvoir  accompagner et permettre d’avoir un lieu, un espace, où on peut vraiment déployer les compétences et les talents.

On a parfois envie de changer les gens. Mais ce qui marche c’est quand les changements sont faits par les personnes elles-mêmes. Ne pas imposer une façon de faire, qu’on estime être la meilleure, mais accepter l’autre comme il est, accepter cette situation de travail, cette entreprise comme elle est, avec ses contraintes, ses trucs qui fonctionnent plus ou moins bien. Aider les gens à trouver la solution par eux-mêmes !

JDV : Quelles relations entre les médecins du travail et les différentes spécialités de la santé au travail (infirmiers, juristes, ergonomes…) ?

O.S : On ne travaille pas du tout de la même manière avec les uns et les autres parce que ce n’est pas le même contexte et ce ne sont pas les mêmes problématiques. Je suis ravie de travailler pour PÔLE SANTÉ TRAVAIL parce qu’on peut vraiment travailler en équipe. On a quand même plein de compétences extrêmement variées et il faut savoir les mobiliser en fonction des situations. Ergonomes, toxicologues, psychologues, juristes… En cela, la technologie va pouvoir nous aider. Soutenir la transversalité et les liens. Bien entendu, même si la technologie permet aujourd’hui de communiquer, ça n’enlève pas le besoin de voir les gens en vrai. Pour apprendre à se respecter et à communiquer, on doit créer des vrais temps d’échange ensemble. Ça demande un vrai effort conscient, de dégager du temps, de bloquer du temps pour une réunion, mais qui en fait, fait gagner du temps.

JDV : Pour finir, comment définissez-vous votre mission de médecin du travail aujourd’hui ?

• Adapter le travail à l’homme et pas l’homme au travail. 

• Faire de la prévention à la fois au niveau individuel et au niveau collectif.

• Accompagner à la fois les salariés et les entreprises afin de préserver la santé 

• Promouvoir la santé, à la fois par le biais de consultations individuelles et puis aussi sur le plan collectif 

• Avoir la connaissance de l’entreprise et jouer un rôle de conseil et d’expertise

Si j’ai fait ce métier, c’était pour m’occuper des gens. C’est vraiment ce que j’ai à cœur : être au service de l’Homme.

Aujourd’hui on ne sait pas très bien ce que fait le Médecin du Travail. En tant que médecin du travail, nous sommes avant tout des médecins, mais nous sommes également amenés à nous former dans des domaines extrêmement différents (droit, toxicologie, ergonomie…), à comprendre de le travail des salariés (qui peut être extrêmement varié quand on travaille en service inter-entreprises) afin de pouvoir savoir à quoi les salariés sont exposés. C’est un métier extraordinaire et passionnant !

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En tant que médecin du travail, dans votre exercice, observez-vous vraiment des transformations dans le monde du travail actuellement ?…