Interview de Richard SION, Médecin du Travail

JDV : Bonjour Richard, nous aimerions, pour commencer cet échange, que vous nous éclairiez sur le contexte actuel…

R.S. : Quelles sont les grandes tendances dans lesquelles nous sommes actuellement ? Nous sommes dans une phase de transition, une évolution du rapport au travail depuis la pandémie qui a surtout changé les rapports de hiérarchie. Le changement de rythme et d’organisation du travail a percuté les modes de management. Et ce sont sans aucun doute les profils les plus en difficulté actuellement.

Ce qui est en train de changer aussi c’est notre rapport au travail, notamment pour les plus jeunes. Le travail n’est plus un but en soi. Là où on parlait, il y a quelques années de plan de carrière, on assiste aujourd’hui à un côté plus court termiste. Ce que je vois aussi et surtout en tant que médecin du travail, c’est qu’on a beaucoup progressé sur tout ce qui est danger immédiat comme les protections chimiques, physiques… Les gens sont plutôt bien formés sur les risques par exemple liés à l’amiante. Cette approche, on va dire de ce qui était éminemment toxique, dangereux au sens large, est de plus en plus prise en charge.

Ce qu’on voit, a contrario, se développer ce sont les RPS, Risques Psycho-Sociaux comme pour le management, le harcèlement lui aussi plutôt en progression. Nous connaissons apparement plus de difficultés relationnelles dans toutes les catégories socio-économiques.

Je vois aussi une vraie souffrance physique dans certains métiers, ce que certains décrivent comme les petits métiers, pourtant essentiels à nous tous puisque ce sont les métiers du service à la personne et du prendre soin ! Aide aux ménages, aide à la vie à domicile, soignants, métiers de la santé et même les infirmières ! Il y a beaucoup de TMS (Troubles Musculo-Squelettiques).

Je crois que c’est le rythme de travail, la diminution de personnel, qui provoquent une pression et une intensification des cadences et un accroissement de la fatigue psy et physique.

JDV : En quoi les relations interpersonnelles sont-elles en train de changer ?

R.S. : Tout d’abord c’est un nouveau référentiel de valeurs. Je ne suis pas sociologue, je ne suis pas psychologue, mais je pense qu’il y a une évolution sociétale avec une mise en valeur de l’opinion personnelle et de la priorisation du moi. Les individus ont pris l’habitude de publier leurs opinions sur les réseaux sociaux, de commenter ou être commentés, de dire ce qu’ils pensent de tel ou tel sujet… On est beaucoup tourné vers soi. Ce qu’on pense, ce qu’on a envie de faire. Il y a moins d’empathie à la compréhension des autres. Je pense que si on écoutait un petit peu plus des avis différents ça pourrait être enrichissant. Une forme de synergie où on pourrait prendre le meilleur de chaque idée pour en tirer quelque chose pour le commun !

Il faut sortir du management avec une autorité statutaire pour aller vers un management avec une autorité de compétence, reconnue. Et si on faisait confiance aux gens pour réaliser un boulot ?

Il faut effectivement un peu de contrôle mais je perçois, et j’entends souvent dire qu’il y a une perte de confiance. Lorsqu’il y a un vrai leader qui porte l’équipe, qui s’engage et soutient, qui est attentif c’est dynamique, ça va tout seul…

JDV : Est-ce que les entreprises ont évolué sur l’inclusion ?

R.S. : Comment dire ça, je pense qu’on a toujours tendance à mettre des gens dans des cases. Les bons, les moins bons, les vieux… C’est désolant car l’être humain est tellement riche. Nous avons tous des particularités ou des tendances dominantes. Il y a des gens qui vont être spontanément leaders, d’autres plutôt suiveurs parce qu’ils n’ont pas envie de se poser trop de questions. Et ça se respecte parce que ce sont de très bons exécutants. Et il y a des timides, il y a des extravertis…

On devrait essayer de comprendre, apprendre, écouter, parce qu’on a plein de choses à découvrir des personnes même celles qui ont des handicaps, avec toute la diversité des handicaps.

Souvent quand on dit handicap, on pense fauteuil roulant, mais il n’y a pas que ça ! Il y a des gens par exemple qui sont en difficultés sur ce qu’on appelle les habiletés sociales, la politesse. Le tacite, l’implicite, le non-dit.

Et qui vont peut être venir parler un peu violemment, ou parler sans retenues, ou tutoyer le patron même. Quelquefois, on peut avoir affaire à des formes mineures d’Asperger et des gens qui sont absolument géniaux et capables de trouver des idées surprenantes et créatives.

On a des gens qui peuvent être dyslexiques ou dysphasiques et comme ils n’ont pas forcément la même logique et la même interprétation, ils sont capables aussi de développer des systèmes d’adaptation, de compensation du handicap qui vont générer une attitude ou une solution auxquels on n’avait pas forcément pensé.

« Il faut essayer de voir comment chaque être humain, au travers d’une certaine difficulté, d’une différence même culturelle, peut donner un point de vue qui mérite d’être étudié, réfléchi, confronté au sens. »

JDV : Comment faire effectivement pour qu’il y ait davantage de dialogue ? C’est quoi les freins ? C’est quoi les obstacles ?

R.S. : C’est multifactoriel. Ça commence par l’éducation à l’enfance, apprendre à respecter l’autre, à l’écouter. Dans la famille. L’éducation, la société, les modes de communication, les médias…

L’entreprise en cela a un rôle social. Effectivement ce n’est pas l’entreprise qui va remplacer l’éducation ou l’école, ou les parents, ou la famille…

Même si une entreprise a d’abord ce souci de rentabilité c’est aussi le rôle de l’employeur de créer une vraie dynamique du bien travailler ensemble, de participer à l’effort commun avec la reconnaissance sur résultats.

Je pense que dans l’entreprise on devrait effectivement avoir des temps pour échanger, pour se voir, pour réfléchir ensemble, pour transmettre, pour faire grandir…