Déceler les enjeux et analyser la marge de manœuvre des dirigeants afin de parvenir à un discours plus entreprenant sur le climat.

Åsa Persson, directrice de recherche du Stockholm Environment Institute

Restés plusieurs années en retrait, les États-Unis organisent, jeudi et vendredi, un sommet mondial sur le climat. Selon Åsa Persson, analyste de Stockholm Environment Institute, les pays doivent cesser d’investir dans les énergies fossiles pour s’assurer que leur reprise économique après la pandémie soit bien verte.

Autour des États-Unis, 40 dirigeants mondiaux se rassemblent virtuellement, jeudi 22 et vendredi 23 avril, à l’occasion d’un sommet visant à prendre des engagements plus fermes pour protéger la planète. Une réunion qui marque le grand retour des États-Unis dans les négociations climatiques, alors que l’ex-président Donald Trump avait retiré le pays de l’accord de Paris sur le climat.

Au premier jour du sommet, mettant en garde contre « le coût de l’inaction » et insistant sur l' »impératif moral et économique » de la lutte pour le climat, le président américain, Joe Biden, a annoncé qu’il s’engagerait à réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis de 50 % à 52 % d’ici 2030 par rapport à 2005. Un objectif « très ambitieux, mais toujours réalisable », estiment les défenseurs du changement climatique. Cet engagement double quasiment l’ancien objectif de Washington d’une diminution comprise entre 26 % et 28 % à l’horizon 2025.

La veille, les 27 États membres de l’Union européenne (UE) ont devancé les États-Unis en prenant eux-mêmes des engagements permettant au continent de devenir le premier du monde à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les objectifs fixés dans le cadre de cet accord européen amélioreraient l’objectif de Paris de 40 % d’ici 2030 en réduisant les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici la fin de la décennie par rapport aux niveaux de 1990.

Le sommet de Joe Biden devrait ainsi relancer le débat pour l’ensemble des pays et accélérer les objectifs climatiques à un moment critique. En effet, selon une étude de l’Organisation météorologique mondiale de l’ONUsur l’état du climat publiée lundi, l’année 2020 s’est classée comme la plus chaude jamais enregistrée, à égalité avec 2016 et 2019.

L’UE a devancé Joe Biden en se fixant d’ambitieux objectifs en matière d’émissions de carbone. Ces objectifs sont-ils suffisants ?

Åsa Persson : Il est extrêmement important que l’UE continue à faire preuve d’un leadership climatique de ce type afin d’inciter d’autres pays à se joindre à cette course. En ce qui concerne les objectifs de 2030, c’est un peu moins que ce que la science exige, mais c’est une bonne affaire dans la mesure où il s’agit d’un accord qui bénéficie d’un large soutien, car il traverse les partis politiques et les États.

Ce nouvel engagement de l’UE envoie un signal fort : nous devons avoir une action plus intense et aucun retour en arrière ne doit être opéré sur les stratégies adoptées. En fin de compte, nous pouvons débattre des niveaux d’objectifs, mais ce qui importe au climat, c’est le résultat. Aujourd’hui, nous devons travailler avec les objectifs qui ont été convenus et passer à la mesure des résultats.

Un rapport du Global Energy Monitor montre que, bien que la Chine se soit engagée à atteindre le ‘zéro émission nette’ d’ici 2060, elle a créé suffisamment de centrales à charbon en 2020 pour annuler le nombre de fermetures d’usines. Attend-elle que le reste du monde s’engage avant d’apporter de réels changements ?

Le monde attend certainement des plans plus concrets sur la manière d’atteindre des objectifs de ‘zéro émission nette’. Cependant, les nouvelles données sont très inquiétantes et cela trahit un manque de cohérence. On le voit dans de nombreux pays qui continuent d’investir dans la production de combustibles fossiles tout en compensant les objectifs climatiques. Toutefois, l’industrie charbonnière chinoise se fait à une échelle beaucoup plus grande, il est donc important que la Chine s’engage et montre comment elle a l’intention d’être cohérente avec sa politique.

Ce qu’il est important de noter avec ce sommet, c’est qu’il s’agit en partie de diplomatie internationale et de pays qui font preuve de leadership et en incitent d’autres à se joindre à eux. Reste que, pour qu’un pays se fixe des objectifs ambitieux, il doit y avoir un soutien interne solide : tout nouvel objectif doit avoir un sens en termes de politique intérieure.

Le rapport publié lundi a montré qu’en 2020, les températures ont augmenté de 1,2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Compte tenu de cette sombre perspective, qu’est-ce qui constituerait une issue positive à ces pourparlers ?

Trois choses. La première et la plus urgente : que les pays cessent immédiatement d’investir dans les combustibles fossiles pour s’assurer que leur reprise économique après la pandémie soit bien verte. Beaucoup l’ont promis, mais cela n’a pas encore été fait.

Par ailleurs, si davantage de pays annonçaient des objectifs pour 2030, comme les États-Unis devraient le faire, ce serait une étape positive.

Enfin, il faudrait que davantage de pays s’engagent à fournir un financement climatique aux pays vulnérables et en développement. Face à des conditions météorologiques, des catastrophes et des défis plus extrêmes, il est très important que de nouveaux engagements financiers solidaires soient pris.

Nous avons déjà un Fonds vert pour le climat. Les États-Unis ont tardé dans le versement de leur part, cependant, ils ont annoncé un engagement majeur à cet égard et rattrapent donc leur retard. Cela dit, si vous regardez le niveau total, tous les pays développés devraient fournir des financements supplémentaires.

 

Emmanuel Macron a admis avoir commis une erreur en sous-estimant l’impact de sa politique de « transition verte » sur les citoyens ordinaires, notamment en ce qui concerne la taxe sur le diesel.

Que doivent faire les dirigeants pour s’assurer que le coût du ralentissement du réchauffement climatique soit partagé plus équitablement ?

C’est la question clé : entamer sérieusement notre transition climatique en modifiant notre système énergétique, nos systèmes de transport, et même la façon dont nous produisons les aliments.

Premièrement, nous devons réfléchir à notre manière de créer de bons emplois associés à ce grand changement.

Ensuite, comme l’exemple français, il faut porter une attention particulière aux inégalités afin de garantir que la transition et les politiques climatiques n’affectent pas de manière disproportionnée les groupes les plus pauvres ou vulnérables. Pour cela, il convient d’employer des mécanismes de compensation et un soutien ciblé pour s’assurer de ne pas renforcer les inégalités existantes, et pour que les dirigeants fournissent une vision convaincante de ce à quoi ressemblerait une société qui répond aux objectifs climatiques.

Certes, il s’agit toujours d’une interaction entre l’industrie et le gouvernement car ce dernier fixe des conditions-cadres et des objectifs ambitieux. Mais nous avons besoin de chefs de file courageux dans l’industrie pour changer leurs modèles et innover.

Cette semaine, un nouveau rapport de l’Agence internationale de l’énergie prévoit un rebond des émissions de carbone cette année alors qu’elles ont chuté l’an dernier en raison de la pandémie. En effet, à mesure que l’économie s’ouvre, il y a un effet de compensation.

Alors que le sommet majeur sera la COP 26 à Glasgow, ce qui est positif pour les États-Unis avec cette réunion, c’est qu’ils essaient de renforcer la dynamique et veulent contribuer à la stabilisation du climat mondial.

Quels sont les enjeux de ces négociations climatiques par rapport à il y a cinq ans et à l’accord de Paris sur le climat ?

Ce sont les mêmes enjeux : la santé de notre planète, la sécurité et la prospérité des humains. Mais l’impératif est différent à ce stade car nous avons un temps très court pour accélérer la transition verte. Aujourd’hui, nous avons cinq ans de moins, donc c’est encore plus urgent.

Adapté de l’anglais par France 24. Retrouvez ici l’article dans sa version originale.