Interview de Florence GEORGE & Alain MONIEZ

JDV : Alain Moniez, Florence George, vous êtes tous deux très impliqués dans la cellule Prévention de la Désinsertion Professionnelle (PDP) de PÔLE SANTÉ TRAVAIL. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste la PDP ?

A.M. : La question est complexe ! Pour y répondre de manière simple, je dirais que la Prévention de la désinsertion professionnelle, c’est notre capacité à éviter qu’une personne perde son emploi, voire ne puisse plus en retrouver un, suite à un problème de santé mentale ou physique. Nous intervenons donc uniquement auprès de personnes qui ont déjà un emploi et uniquement dans le cadre de l’entreprise, sur le volet « Santé au Travail », même si le problème de santé peut être extérieur : par exemple, quelqu’un qui a un grave accident de la route pendant ses vacances ou un accident de sport avec des conséquences importantes… 

F.G. : Nous devons trouver des solutions adaptées à la personne et à l’entreprise pour permettre au salarié de conserver un emploi. Pas forcément son emploi initial mais un emploi. On parle d’ailleurs plus souvent maintenant de maintien en emploi et non plus de maintien dans l’emploi. On pourrait dire que le maintien en emploi est le résultat de la prévention de la désinsertion professionnelle : l’objectif est atteint !

JDV : Y a-t-il des secteurs plus touchés à cibler ? Des personnes plus vulnérables ? 

F.G. : Oui, l’industrie, la construction, la logistique ou encore le secteur sanitaire et social sont en général plus exposés. Pour autant, le risque est partout ! Même si on peut limiter les accidents du travail, on ne peut et ne pourra jamais les supprimer complètement. Le risque zéro n’existe pas, quel que soit le secteur ou la taille de l’entreprise.

A.M. : Les personnes qui souffrent de maladies chroniques (diabète, polyarthrite…) ou d’un cancer peuvent aussi être plus fragiles. Cependant, il existe aujourd’huides possibilités d’aménagement et des traitements qui leur permettent de rester actifs, ce qui n’était pas forcément le cas avant.

JDV : Comment est repéré un salarié « à risque » ? 

F.G. : C’est le travail quotidien des Équipes Santé Travail. Ce sont elles, en visite lors du suivi de santé ou lors de visites de pré-reprise pour les salariés en arrêt, qui vont repérer qu’il y a un risque potentiel de désinsertion professionnelle. 

JDV : On entend parler de créer des « cellules PDP ». Quel va être leur rôle dans ce cas ? Elles vont se substituer aux Équipes Santé Travail ?

A.M. : Surtout pas ! L’équipe locale de Santé Travail est et restera la porte d’entrée naturelle des personnes qui ont besoin d’être accompagnées. C’est elle qui est la plus à même de faire ce travail de proximité, au plus près des salariés et des employeurs. C’est elle qui gère la demande, pilote les actions à mettre en place et qui, le cas échéant, travaille avec les assistantes sociales ou avec Cap emploi, un organisme spécialisé qui favorise l’insertion des personnes handicapées en milieu de travail et qui accompagne les employeurs avec des actions permettant aux entreprises de devenir « handi-accueillantes ».

F.G. : En complément, quand le cas est complexe ou si l’équipe a besoin d’être conseillée pour une orientation par exemple, elle peut s’adresser à la « Cellule PDP ». La cellule vient donc en appui, elle accompagne l’Équipe Santé Travail. 

JDV : C’est nouveau chez PÔLE SANTÉ TRAVAIL ?

A.M. : Non, la cellule existe chez nous depuis plusieurs années déjà sans en porter le nom officiel. J’en suis le Médecin Coordonnateur. Cinq Médecins du Travail référents Handicap, quatre Assistantes maintien en emploi ainsi que Florence, Responsable de la Coordination de la PDP et du service d’expertise médicale, en font également partie. 

F.G. : Nous avons ainsi la spécificité de couvrir l’ensemble de nos secteurs. Autre atout, nous avons quasiment tous les profils métier en interne, c’est vraiment une force parce que cela nous permet de de traiter un dossier quasiment de A à Z et de pouvoir proposer la majorité des ressources en interne. Le circuit est plus rapide, plus fiable aussi car il y a moins de déperdition d’information, ce qui rend l’action plus efficiente. 

A.M. : Dans le cadre de la loi, nous allons étoffer cette équipe de compétences pluridisciplinaires complémentaires : un Psychologue du Travail et un Ergonome nous ont déjà rejoints ; nous attendons aussi l’arrivée de deux Infirmières.

JDV : Vous évoquez la loi justement ; qu’apporte-t-elle ?

F.G. : Elle renforce notre mission de prévention primaire. Comme nous utiliserons des indicateurs communs, nous aurons une plus grande visibilité sur les causes et les conséquences de certaines situations à risque. Nous pourrons donc repérer plus facilement les entreprises les plus exposées, agir plus tôt et mieux sensibiliser les employeurs. 

A.M. : Aujourd’hui, nous sommes essentiellement sur des actions correctrices à l’échelle du salarié. La cellule est en appui ; à terme, elle doit être force de proposition et piloter des actions de sensibilisation en fournissant les outils adéquats. Notre champ d’intervention va donc s’élargir : nous passerons d’une mission d’accompagnement individuel à une mission pro-active de mise en place d’actions collectives de Prévention. La loi va nous aider à les formaliser et à les légitimer auprès de nos adhérents. Elle repositionne le rôle du Médecin du Travail et plus globalement, le rôle de l’Équipe Santé Travail. 

JDV : Concrètement, ça va changer le quotidien de l’équipe déjà en place chez PST ?

A.M. : Chez nous et plus généralement dans les Hauts-de-France, pas forcément car nous étions déjà très bien organisés. Il n’y a pas de prétention dans mes propos mais il faut reconnaître que le réseau est déjà très structuré et que tous les SPSTI sont sensibilisés depuis longtemps. 

F.G. : Aujourd’hui, tous les services de la région ont ou sont en passe d’avoir leur cellule PDP. Ça fait 20 ans que nous travaillons ensemble ; nous faisons même partie d’un réseau qui s’appelle aujourd’hui le réseau STME « Santé Travail Maintien dans l’Emploi » coordonné par l’ISTNF (Institut de Santé au Travail du Nord de la France). Nous utilisons déjà les mêmes documents, les mêmes indicateurs, ce qui permet d’harmoniser nos pratiques ; harmoniser mais pas uniformiser car les problématiques peuvent être différentes selon les bassins d’emploi et donc les solutions doivent être adaptées à chaque situation. La région a d’ailleurs été pionnière dans son fonctionnement !

JDV : Si vous aviez chacun un message clé à délivrer, ce serait quoi ?

F.G. : Dans les Hauts-de-France, on l’a dit, nous avons la chance d’avoir un circuit assez performant et adapté. Cependant, il est vraiment primordial de mieux informer les entreprises : il y en a encore trop qui ne connaissent pas les dispositifs qui existent et il faut bien reconnaître que la notion de handicap est encore mal connue ou comprise. Pour y remédier, nos assistantes maintien en emploi commencent un travail sur le terrain, elles vont à la rencontre des employeurs pour les sensibiliser, expliquer en quoi consiste la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH)…

A.M. : Cette meilleure communication vaut aussi pour le salarié, notamment s’il est sur un arrêt long. Bien sûr, il faut laisser la personne prendre le temps de se soigner mais à un moment, nous devons revenir vers elle pour discuter de son retour à l’emploi et des modalités de reprise. La notion de retour, notamment pendant un arrêt long, doit être maintenue à l’esprit sinon la personne peut finir par l’oublier et ne plus voir que sa maladie. Ce n’est pas le diagnostic en lui-même qui crée la désinsertion, ce sont les conséquences de la maladie. Le rendez-vous de liaison et la visite de pré-reprise permettent au salarié d’anticiper son retour, d’y réfléchir en amont.

JDV : Et vous, Alain Moniez, votre message clé ?

A.M. : Pour moi, ce serait : poursuivons nos efforts pour développer la Prévention primaire ! Quand actuellement nous intervenons en PDP, c’est que nous sommes déjà en prévention tertiaire. Quelque part, « le mal est fait », il est déjà trop tard et on cherche des solutions pour réparer. Nous devons agir sur les causes, les anticiper, non plus intervenir sur les conséquences. Pour moi, la PDP est partout : dès qu’on aménage un poste, qu’on aménage des horaires, on est dans la PDP ! On sait que si les conditions de travail ne sont pas bonnes, forcément, l’état de santé des salariés va se dégrader. Or, on va travailler de plus en plus vieux ; c’est donc indispensable d’améliorer les conditions de travail. Mon but, c’est que les gens qui partent en retraite soient en bonne santé ! Plus on pourra agir en prévention primaire, c’est-à-dire en amont, plus on fera régresser le risque et on protégera le salarié et sa santé… et donc aussi la santé de l’entreprise ! On se rend compte aussi qu’une entreprise qui a fait un aménagement de poste, a ensuite plus facilement le réflexe de réfléchir avec nous à des solutions, ou en tout cas, à envisager que des solutions sont possibles.

JDV : Vos messages sont tournés vers l’employeur ; si vous aviez un conseil à donner aux salariés maintenant ? 

A.M. : Je reprendrais simplement la philosophie de Job de Vie : il faut que le salarié soit acteur de sa Prévention ! De manière générale, il y a bien sûr des principes de santé publique : « faites attention à ce que vous mangez », « ne consommez pas trop d’alcool », « évitez les drogues, le tabac »… ; les grands principes de sécurité aussi : « portez les bons gants », « portez vos EPI », « portez votre masque »… mais dans le cas spécifique de la désinsertion professionnelle, je leur dirais : « ne vous isolez pas si la maladie vous frappe ! ». Avant de se dire « je ne pourrai plus travailler à cause de ma maladie », le salarié doit absolument aller voir son Médecin du Travail ou son Équipe Santé Travail, discuter avec eux et rester confiant. Des solutions existent aujourd’hui pour pouvoir continuer à travailler !