« Tout mouvement entraîne mécaniquement une résistance. »

Même imperceptiblement, le simple mouvement d’un bras et d’une main devant soi génère une résistance : la résistance de l’air. Dès lors, loin des critiques psychologiques, des dénonciations, des conservatismes… les résistances au changement peuvent être abordées, de façon « mécanique », ou même naturelle : tout mouvement entraîne mécaniquement une résistance.

Plutôt que de nier, dénier ou résister aux résistances, sans doute est-il plus judicieux de les anticiper, de les comprendre et de les atténuer en rendant le mouvement, le changement plus fluide et non brutal. Voici tout l’objet des regards croisés...

1 – Regard Sociologique

« On ne change pas une équipe qui gagne », « Pourquoi quitter la proie pour l’ombre », « C’est comme ça que ça marche depuis des années »…

• Qui n’a jamais entendu semblables remarques de la part de publics confrontés au changement ?

• Quatre champs d’incertitudes créent l’espace de propagation des forces de résistances. Il convient de les combler, pour « vendre » le changement, en répondant à 4 questions simples :

Pourquoi on change ? -> Justification du changement

Vers quoi on change ? -> Destination du changement

Qu’est-ce que ça change pour moi ? -> Appropriation du changement

Quels sont les moyens qu’on se donne réciproquement ? -> Mobilisation pour le changement

• Ainsi, promouvoir positivement le changement exige de donner le sens, de veiller à ce que chacune et chacun puisse se l’approprier, en comprenant les enjeux, l’avant-après, à son niveau.

• De fait, nous ne sommes pas égaux face au changement. On peut même noter ici, que plus on est spécialisé, plus on est expert, plus le changement est difficile à accepter. Tout simplement parce que ce n’est pas seulement ce que je fais qui est appelé à changer, mais aussi ce que je sais, voire ce que je suis, qui est impacté. 

C’est donc en mode polyculture qu’il convient d’aborder le changement et son appropriation.

2 – Regard culturel et polyculturel du changement

Anthropologue britannique (1921-2007), Mary Douglas s’est spécialisée dans l’anthropologie de la culture. Une première observation et conviction de Mary Douglas mérite d’être partagée :

Une culture construit sa légitimité en fondant, elle-même, ses certitudes qui contredisent les certitudes des autres cultures. Ainsi les cultures sont “auto-défenses“ dans l’adversité.

Par nature différentes, divergentes voire antagonistes, les cultures peuvent donc s’opposer frontalement dans leur perception des risques et, parmi eux, des risques réels ou perçus du changement. 

Mary Douglas distingue 2 axes délimitant 4 grands champs culturels :
– Un axe horizontal qui désigne la frontière extérieure plus ou moins marquée, qu’un groupe a érigé entre lui et le monde
– Un axe vertical qui désigne les niveaux de force de l’autorité et de la hiérarchie

• Il semble que la crise sanitaire, comme la crise climatique, illustrent bien, malheureusement, cette typologie de Mary Douglas :

Des bureaucraties invitent à prendre les précautions et produisent des normes ponctuelles ou durables.

Les communautés (ex : Provax/Antivax, Climato-Septiques/Climato-Sensibles…) se radicalisent, se rétractent sur elles-mêmes et s’opposent avec force.

Les entrepreneurs se mobilisent pour faire des crises des opportunités pour agir, rendre service, se développer et s’enrichir, quitte à ce qu’on le leur reproche.

Les plus isolés sont souvent les plus touchés. Plus vulnérables, ils le sont plus encore en cas de crise ou de changement.

Mary Douglas observant les cultures face à l’écologie, en distingue 4, là encore, qu’elle schématise :

Ce que Mary Douglas nous invite à réaliser :

Face aux crises, au risque et au changement ; il convient d’adresser toutes ces cultures (et non une seule) et d’agir. Les inviter à vous rejoindre ou à se joindre à vous c’est faire venir, pas accompagner ! Accompagner une personne, un groupe, une équipe, une population, c’est partir de là où elles sont.

3 – Regards philosophiques

Des deux premiers regards, sociologique et culturel, nous pouvons retenir un point majeur :

Pour promouvoir le changement, il faut « partir à la reconnaissance » pour montrer un nouveau chemin vers une nouvelle destination. Mais, bien qu’indispensable, cela ne peut suffire. Il faut aussi « faire preuve de reconnaissance » pour adresser toutes les cultures dans leurs diversités, contrastes et oppositions. Pour mieux qu’inviter, accompagner chacune et chacun dans l’élan du changement.

• Deux philosophes peuvent nous aider à comprendre pourquoi et comment faire preuve de reconnaissance. Paul Ricœur et Axel Honneth.

• Paul Ricœur invite à conjuguer et mettre en résonance trois acceptions du concept de reconnaissance :

– La reconnaissance comme identification d’une personne ou d’un objet
– La reconnaissance de soi
– La reconnaissance mutuelle

• Pour saisir l’importance de ces 3 dimensions, imaginons un nouveau-né.
Incapable de survivre seul à la naissance, il faut prioritairement que quelqu’un le reconnaisse comme un être vivant dont il convient de prendre soin. Ce n’est qu’après qu’il apprendra à reconnaître le visage de l’autre qui prend soin de lui. Il lui faudra encore un peu de temps pour apprendre à se reconnaître lui-même.

Ricœur nous invite à réaliser que dès la naissance, la « Reco-naissance » est un besoin vital, préalable à la satisfaction des besoins primaires.

• Philosophe allemand, Axel Honneth complète ce regard par ses études du Social, dont il fait un objet philosophique. Pour Axel Honneth, le social est un univers aussi chaotique que l’univers lui-même, parce que des milliards d’individus s’agitent en permanence pour satisfaire leur quête (vitale !) de reconnaissance.

• Chacune et chacun cherche la reconnaissance dans 3 champs : l’Amour, le Droit, la Solidarité.

• Chacune et chacun a besoin de ressentir :

– La confiance en tant qu’individu
– Le respect en tant que personne
– L’estime en tant que sujet agissant

Si l’un des trois éléments vient à manquer ou baisse en intensité, la quête de reconnaissance est relancée. Si les 3 viennent à manquer, chacun se sent mis en « mode mineur », déconsidéré, voire méprisé.

• Faire preuve de reconnaissance est ainsi bien plus qu’une valeur morale, c’est un élan vital et un enjeu social majeur.

• À l’heure des grands changements, le temps est venu de reconnaître que c’est peut-être le manque de reconnaissance des « laissés pour compte » et de la planète qui nous a amenés là où nous en sommes.

Le premier changement que ce regard philosophique nous invite à opérer, c’est justement de faire preuve de reconnaissance des autres, de soi, de la planète.

4 – À la croisée des regards

• Devant nous, le champ du possible, si nous savons toutes et tous nous mobiliser pour changer nos modes de vie et de relation entre nous et avec notre environnement.

• Tout nous invite à partir à la reconnaissance de soi, des autres et de la planète.

• Pour rendre le changement plus fluide, acceptable et partagé, adresser toutes les cultures qui nous entourent et combler 4 champs d’incertitudes, en permettant à toutes et tous de comprendre :

« Pourquoi on change ? »,
« Vers quoi on change ? »,
« Qu’est-ce que ça change pour moi ? »,
« Quels moyens on se donne respectivement ? »

• Accompagner chacune et chacun en partant de là où elle/il est et en lui permettant de s’engager à sa façon dans la transition.

• Au fondement du « Care* » et de la Culture de Prévention Job de Vie, la volonté d’apprendre individuellement et collectivement comment prendre soin de soi, des autres et de l’environnement.
*Désigne simplement le prendre soin, l’attention et la sollicitude au quotidien.

• Transitions, sociale et environnementale, se conjuguent en duo et nous invitent à imaginer, étape par étape, de nouveaux modes de vie, bénéfiques pour nous, humains, et pour la planète.

• Il n’y a pas d’un côté la Prévention et de l’autre la Transition. Nous pouvons faire de la Prévention un moteur de la Transition. Peut-être faut-il d’abord tout simplement… le reconnaître !

Partir de chaque personne, groupe et culture et, plutôt que de se contenter d’inviter au changement,

permettre à chacune et à chacun de trouver sa place et tracer son chemin vers un autre monde…

Permettre à chacune et à chacun de prendre soin de soi, des autres et de l’environnement

Faire de l’Auto-Prévention un moteur de la Transition…

De toutes les Transitions