« On est à fond dans ce qu’on appelle le « reverse »

Jean-Maurice Morque
Dirigeant Crouzet Agencement

JDV : Quel regard portez-vous sur le contexte actuel ?
JM.M. : On est en crise permanente. « Toutes les crises, même celles qu’on vit en ce moment, ça nous stimule. La crise est source d’excellence. »
Un dirigeant doit assurer la pérennité de l’entreprise et la capacité à survivre à n’importe quelle crise.

JDV : Qu’est-ce qui fait le collectif votre entreprise ?
JM.M. : Je ne sais pas. Il faudrait le demander aux équipes ! Elles ne font pas le même métier que moi. On est douze menuisiers, treize apprentis, un dirigeant, c’est tout. Il y a plus d’apprentis que de pros. Toute la partie gestion c’est moi. Je ne suis pas menuisier. Ça fait treize ans que je suis là et je ne sais pas comment ils font un meuble.
C’est un miracle pour moi. Comment ils font ? Je ne sais pas. Ils se débrouillent.

JDV : Ils sont en autonomie. Il n’y a pas de manager ?
JM.M. :
Non, il y a zéro manager.
Il y a tout le monde en poste direct.

JDV : Pourquoi autant d’apprentis ?
JM.M. : Nous sommes en relation permanente avec des écoles. Et j’ai du mal à dire non. Les jeunes ont beaucoup de mal à trouver des contrats. Ils viennent nous voir. On leur demande pourquoi ils sont venus nous voir ? Ce qu’ils veulent faire ? Certains ont des projets.
J’ai des jeunes apprentis qui viennent d’univers différents. Une apprentie qui vient de Berlin. Un qui était ingénieur en aéronautique qui est désormais en CDD (Certains en ont marre de l’école.) Ça ne lui plaisait pas. Lui, c’est un apprenti qui ne trouvait pas de contrat. Lui n’a pas encore seize ans, il était en troisième l’année dernière, il était venu faire un stage et il est resté !

JDV : Comment accompagnez-vous les jeunes pour qu’ils s’intègrent au reste de l’équipe ?
JM.M. : ll faut travailler l’appropriation. C’est-à-dire comment faire pour que finalement un groupe s’approprie ou adhère à une culture d’entreprise commune. C’est du bon sens. Quand vous avez une multiplicité de décideurs qui ne sont pas forcément convergents et alignés, ça vient souvent de là. Pas de culture commune. L’entreprise c’est une douzaine de sphères. Et il faut que les douze sphères soient alignées. Et ça, c’est très difficile à faire.

JDV : La santé est au cœur de votre stratégie. Comment ça se vit concrètement ?
JM.M. : Dans l’entreprise, chez nous, on donne à une personne qui rentre 3 priorités.

• Priorité numéro une c’est de ne pas te blesser.
Priorité numéro deux c’est de ne pas salir. 
Puisque nous sommes dans la poussière, qui est un élément cancérigène. Sur le plan bon sens, on sait que le nettoyage coûte beaucoup plus cher en temps que d’éviter de se salir. On peut par exemple leur dire : « Change de pantalon avant de bricoler. Si jamais tu commences à bricoler en costume, tu vas te salir, ça coûte rien. Ça va vite de changer un pantalon pour faire un truc. Tu l’enlèves, tu le remets. Une fois qu’il est sali, il faut le nettoyer. Il faut l’emmener au pressing. »
Vous voyez, c’est un exemple.
• Troisième priorité Enseigner. C’est aussi ce qui est intéressant pour valoriser les gens, c’est de leur demander d’enseigner. L’enseignement, en réalité, c’est un peu comme parler. Moi, j’aime bien parler, c’est très facile pour moi. J’ai constaté que parler, développait ma confiance, c’est une technique. « Si tu veux gérer ta timidité, apprends à parler en public et tu verras, tu vas dominer de plus en plus ta timidité. »
Il y a beaucoup de comiques qui sont des timides qui se soignent.
Ici, on les entraîne à parler. Pour parler, il faut qu’ils aient des choses à dire ! Ils trouvent toujours. Ce qui est très intéressant, c’est que les jeunes savent plein de choses que nous on ne sait pas, et ça leur renvoie de l’estime d’eux-mêmes, ça les fait grandir.
Nous, on est à fond dans ce qu’on appelle le « Reverse ». On parle de « Reverse mentoring » (l’art d’inverser les rôles). Mais « Reverse » c’est TOUT.
C’est à dire que, quelle que soit la personne, elle a toujours des connaissances que je n’ai pas. Je ne considère pas les gens comme des collaborateurs, je ne les réduis pas à leur travail et à leur fiche de paie. Ce ne sont pas des salariés, ce sont des personnes, des personnes qui savent des trucs ou qui ont vécu des trucs. Donc ils peuvent nous enrichir !
Pour finir, je suis un adepte de ce qu’on appelle le micro-changement et de la micro-formation. C’est un petit truc tous les jours.