Angoisse, anxiété, stress…

Interview Dr. Christian M. Médecin du Travail

JDV : Quelles sont les principales vulnérabilités que vous observez actuellement ?


C.M. : Sans vouloir faire de politique, si nous n’avions pas eu de mesures fortes de la part du Gouvernement, le niveau social des personnes serait encore pire que ce que nous vivons aujourd’hui. C’est compliqué d’avoir l’angoisse du lendemain.
Aujourd’hui, la crise sanitaire oblige certaines personnes à se rendre compte qu’elles devront peut-être changer de métier rapidement, que leur entreprise n’existera peut-être plus, etc.
Certains ne sont pas préparés à cela ! Dans le bâtiment par exemple, certains salariés me disent qu’ils aiment leur métier et qu’ils ne savent faire que ça. Cela ne va pas être simple. Nous voyons plus d’entreprises cesser leurs activités.

Ce que la situation actuelle révèle, c’est notre vulnérabilité à tous, et c’est angoissant. Ce que j’ai vu le plus apparaître cette année, c’est ce sentiment d’angoisse. Il y a beaucoup plus d’anxiété car pour aller bien, l’être humain doit avoir un objectif, une perspective, un but, et pouvoir l’atteindre. Dans la crise COVID on ne perçoit pas la fin. Il n’y a pas de visibilité à court terme !

Aujourd’hui, le moral est en berne, il y a un accroissement des arrêts de travail de longue durée.
On sait que si l’arrêt dépasse 6 mois, on a une chance sur deux pour que le retour au travail soit difficile, voire non réalisé.

Des personnes ont frisé la désinsertion professionnelle et sociale. Les psychiatres, les psychologues n’ont jamais été autant sollicités, avec des personnes qui n’arrivent pas à se projeter, qui sont interrogatives par rapport à l’avenir, anxieuses. Il y a une montée des dépressions. Les premières pathologies que nous voyons apparaître sont les aspects anxio-dépressifs, ce qui signifie que les personnes ont vraiment besoin d’accompagnement. La plupart des services de Santé au Travail, ont mis en place, des numéros verts, des lignes directes, pour les personnes qui souhaitent, de manière anonyme, échanger au niveau de leur situation de souffrance, d’abandon.

Les étudiants, par exemple, sont des personnes qui ne vont pas bien en ce moment, par manque de perspectives sur leur avenir et leurs études, et le sentiment de solitude. Notamment les étudiants étrangers.

En dehors des pathologies d’aspect anxio-dépressif, les pathologies liées aux risques métier ont augmenté car les salariés se sont focalisés sur la prévention liée à la COVID-19 !

Il faut rappeler aux entreprises que les autres risques continuent d’exister et qu’il ne faut pas les oublier notamment lors d’un retour au travail pouvant être en mode dégradé (rythme, personnel disponible). Le médecin du travail est un « médecin de prévention ». Nous voulons que cette prévention soit primaire, c’est-à-dire une prévention du risque. La gestion de la COVID-19 est une gestion de prévention primaire : il y a un risque, nous intervenons avec les connaissances scientifiques que nous avons pour éviter les conséquences sur le salarié de manière individuelle et collective.

Le rôle de la médecine du travail est majeur dans l’accompagnement des entreprises et des salariés pour la Santé au Travail et via le Travail.

JDV : Quelles ont été et quelles sont les attentes des entreprises et des salariés durant cette crise COVID ?


C.M. : Les premières semaines du confinement, nous avons essentiellement géré les demandes et questions des entreprises pour leur permettre de continuer à travailler, mais aussi et surtout de répondre de manière individuelle aux salariés qui s’interrogeaient sur ce qui devait être mis en place par rapport aux problématiques de vulnérabilités.

Nous avons été très occupés par la gestion de la mise généralisée en télétravail et avons eu à gérer les questions des entreprises concernant les retours en activité, les mesures à prendre pour un bon fonctionnement, tant en télétravail qu’en présentiel, sur la gestion des cas de la COVID-19, sur leur retour au sein de l’entreprise et comment gérer les cas contact, comment gérer un salarié vulnérable qui s’interroge.

Il a donc fallu tenter de rassurer tout le monde et mettre en place des protocoles individualisés dans chaque entreprise. Beaucoup d’informations ont été diffusées de manière collective par notre service communication mais aussi beaucoup d’informations envoyées par le service RH sur ces questions. Une entreprise m’a appelé un jour en me disant qu’ils ne voulaient pas reprendre leur activité sauf si je validais le protocole de reprise. Avec une représentation syndicale active, ils ont raison de se poser des questions, ils ne reprendront que si le plan de reprise d’activité est validé par la médecine du travail.

Beaucoup de salariés s’inquiètent de leur situation santé.
Il y a eu des listes de critères de vulnérabilités, comme les personnes souffrant d’obésité, d’insuffisances cardiaques, d’insuffisances respiratoires, etc. Au niveau hospitalier, on se devait de se positionner pour savoir si des salariés devaient justifier d’une interruption professionnelle.
Certains ont eu très peur et ne voulaient plus voir personne et d’autres, qui auraient mérité de surtout rester chez eux, ont fait des pieds et des mains pour travailler.

On a des personnes qui se sont révélées. J’ai vu dans le milieu hospitalier des personnes qui avaient la possibilité de ne pas venir travailler et qui me disaient :

« Docteur, je sais que j’ai la possibilité de ne pas venir travailler, mais je veux continuer à aider, continuer à faire que mes collègues ne soient pas seuls ».

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