Interview Damien D. Addictologue

JDV : À partir de quand est-on dépendant ?

D. : Quelle que soit l’activité, quel que soit le produit, la dépendance est synonyme du fait que « je ne peux pas me passer de tel comportement car j’ai perdu la liberté de m’en passer ». On parle également de dépendance quand on ne peut pas se passer du produit dans certaines situations, par exemple quand il est impensable de prendre une boisson non alcoolisée dans un contexte festif, la représentation sociale de l’alcool peut générer une dépendance. 

Beaucoup de jeunes et même d’adultes ignorent le seuil de consommation à risque. Concernant le cannabis, la consommation en est interdite donc le seuil est légalement de zéro. C’est en prenant le temps d’analyser le niveau de consommation du jeune et sa fréquence de consommation qu’on se rend compte de l’addiction.

Les jeunes étudiants ayant une consommation occasionnelle et festive peuvent tout à fait par leur rythme de consommation combiné à la durée de leurs études sortir de leurs études physiquement dépendants.

 

Il est faux de croire que des jeunes qui consomment beaucoup s’en sortent sans dépendance, car ils associeront toujours la consommation à la détente. 

Concernant l’alcool il convient de retenir deux chiffres

2 et 10

Le seuil est de ne pas excéder 10 doses d’alcool par semaine
(soit 2 verres par jour, 5 fois par semaine).

Un consommateur pourra tester sa dépendance par un arrêt total d’alcool 10 jours consécutifs,
et dans ces 10 jours il doit y avoir 2 week-ends.

Il existe 3 niveaux de dépendance

La dépendance sociologique

La dépendance psychologique

La dépendance physique

JDV : Constatez-vous une montée de la consommation ?

D. : Depuis ces dernières années la consommation augmente de manière stable. Ce qu’on constate le plus fréquemment est plutôt l’augmentation des consommations avec l’âge, cet effet est lié au fait que progressivement on doit augmenter la dose pour avoir le même effet. Au plus un consommateur usera d’un produit, au plus quand il en stoppera l’usage il atteindra une zone de mal-être et pour la combler il va alors re-consommer. 

Prenons l’exemple de l’escalier : si pour aller bien j’ai besoin de monter un étage, rapidement pour continuer à aller bien je vais devoir augmenter et j’aurais alors besoin de 2 étages et ainsi de suite, mais plus on va augmenter le nombre d’étages plus la chute pour atteindre le rez-de-chaussée va être grande ! 

 

La prévention signifie être prévenant, être dans la confiance et la bienveillance,
faire de la prévention « contre » quelque chose 
n’a jamais porté ses fruits ! 

Ce n’est pas en réprimandant les gens que nous ferons de la prévention. Nous devons avoir un discours pour le mieux-être et pas contre le « produit ». 

D. : Le climat d’un certain nombre de lieux d’enseignements peut créer un mal -être chez les jeunes. Cela peut se traduire par des dépressions, du burn out, des tentatives de suicide ou des suicides.

Parmi les jeunes les plus concernés les étudiants en médecine sont dans le peloton de tête. Leurs études, le concours d’entrée puis le concours avant leur internat créent un climat de compétition, de bourrage de crâne qui n’est pas des plus équilibrants, ils vont alors chercher cet équilibre ailleurs.

Au niveau des jeunes usagers de cannabis, dans notre région plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont sortis du cursus scolaire parce que leur consommation les pousse à rester chez eux.

Je constate également une banalisation de la consommation de cannabis chez les jeunes qui sont dans des métiers à risques, des métiers à stress situationnel où on consomme pour oublier, par exemple un couvreur qui fumerait du cannabis pour oublier sa peur de monter sur le toit… Il y a une minimisation des risques encourus par la consommation de cannabis dans de telles situations.

 

On note aujourd’hui en plus de l’alcool et du cannabis, un détournement d’utilisation d’antalgiques pour les effets psychotropes qu’ils procurent.

Il faut également noter que l’utilisation de la cigarette électronique pour des jeunes n’étant pas en « sevrage tabagique » n’est pas si innocente que ce que l’on pourrait croire, en effet un jeune qui commence la cigarette électronique peut avoir été entrainé à découvrir des produits illicites que l’on trouve sur internet.

JDV : Quelles conséquences ont ces consommations ?

D. : La consommation de produit entraîne une perte de contact avec l’acquisition des connaissances et peut donc générer des échecs scolaires. L’alcool et le cannabis modifient la perception de la réalité, cela a évidemment des incidences sur la vigilance, et on en note une perte dans des situations qui en nécessitent !
Cette moindre vigilance peut amener à des accès de violence, une conduite sexuelle à risque, une prise de risque dangereuse, mais également des traumatologies routières. Il y a des risques de cancers liés à l’alcool, des pathologies digestives ou encore des pathologies neuropsychiatriques. Sur des aspects plus globaux, il y a un risque de tentative de suicide lors du décroissement de l’effet du produit. Dans plus de la moitié des suicides, on note un antécédent immédiat de consommation (qu’elle soit médicamenteuse prescrite ou d’autres psycho-actifs) tout produit confondu.

JDV : Que peut-on faire en terme de prévention ?

D. : Le cerveau termine de se construire vers l’âge de 25 ans, il faudrait pouvoir retarder au maximum la prise de produit qui pourrait altérer sa construction définitive.

L’information sur les situations de travail qui ne sont pas acceptables devrait être transmise aux jeunes par les Services de Santé au Travail, car ils entrent dans la vie active et n’ont pas forcément connaissance de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Toutes les semaines j’effectue une consultation d’addictologie ouverte, chaque centre peut y inscrire un jeune dans une situation dite « à problème ».
Il faut questionner le consommateur et lui demander « Quand tu consommes qu’y trouves-tu ? ». Dès lors que la réponse fait état de quelque chose de positif « Je me sens mieux », « Ça me fait du bien », « C’est super » nous devons être alertés.
Notre objectif en Santé Travail par rapport aux jeunes c’est qu’ils soient dans le meilleur état de santé possible pour partir en retraite, c’est quelque chose qui doit être traité dès le début d’une carrière professionnelle.

 

L’éducation au bien-être fait peur, parce qu’elle sous-entend qu’un jeune puisse aller mal… 
En France, on parle énormément d’écologie pour la planète, mais la formation à la recherche du mieux-être par des méthodes « écologiques », elle, n’est pas développée. On doit passer par l’écoute de ce qui peut être ressenti dans le mal-être, on devrait pouvoir éduquer et accompagner les jeunes à aller vers le meilleur pour eux en passant par des activités de bien-être, de détente, de relaxation par exemple.

D. : Ce qui est important avec les jeunes c’est de pouvoir être dans l’interaction et ne pas se contenter de leur présenter un « catalogue des risques », il n’y a pas de valise toute faite nous disposons d’une boîte à outils et nous devons adapter les outils à chaque cas particulier. La seule personne qui puisse amorcer une baisse de consommation demeure l’usager, il faut prendre le temps d’évaluer les différentes choses possibles à mettre en place. Il existe une multitude de possibilités et au plus il y en aura au plus ce sera bénéfique aux salariés, nous devons faire de la prévention individuelle et collective dans le but de proposer des actions adaptées au cas par cas. L’objectif est bien d’aller vers le mieux-être. 

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