Composer avec les saisons et faire preuve de résilience

Entretien avec Matthieu Horb, jardinier-paysagiste

JDV : Éprouvez-vous plus de difficultés à travailler en extérieur qu’au cours des autres saisons ?

 M.H. : L’hiver n’est pas le plus compliqué. C’est un métier physique où l’on s’expose aux éléments mais nous avons beaucoup d‘équipements de protection pour y faire face. Il y a cependant des facteurs climats qui influencent le dégré de pénibilité du métier. Le froid en lui-même est gérable et supportable. Mais le froid cumulé au vent rend les journées beaucoup plus pénibles. 

Le vent glacial toute la journée peut rendre le métier beaucoup plus épuisant et il est difficile de lutter contre. Se réchauffer devient alors compliqué, et le soir, la tête tambourine vraiment. Une importante part de notre capacité à supporter le climat vient du mental et clairement, sans clés, il serait très difficile de continuer à exercer ce métier dans la durée.

Le mental fait toute la différence. Il y a une forme d’acceptation de la situation et de la dureté qui doit se faire par le mental. Avoir mal et se faire mal fait partie du travail.
Et c’est bien le mental qui fait toute la différence.

JDV : Qu’est-ce qui vous rend particulièrement vulnérable  dans votre métier ?

M.H. : Un des aspects qui est compliqué par exemple pour moi à gérer, c’est la conciliation vie pro/vie perso. Après une journée où la dépense physique et les conditions climatiques vous mettent à plat, c’est difficile de rentrer à la maison en étant disponible pour la vie de famille, notamment avec de jeunes enfants.

Il y a une forme d’épuisement et de lassitude qui sont bien là et il faut cependant puiser encore dans d’autres ressources pour mettre sa casquette de parent, de conjoint et participer à la vie de la famille. Parfois la seule envie que l’on a c’est de s’allonger, se détendre, manger directement en rentrant. Mais les enfants passent d’abord et c’est une autre journée qui démarre et qui n’est pas toujours simple.

JDV : Comment fait-on face aux difficultés du métier ? Comment prendre soin de soi ?

M.H. : Il faut de vraies clés pour pouvoir tenir dans ce genre de métiers. Et on a beau les connaître, se les appliquer c’est encore autre chose. En tant que sportif de haut niveau, je connais l’importance du physique, de son maintien et de sa préparation. Et ce n’est pas pour autant que je me les applique à moi-même. Mais il y a quand même des gestes et des réflexes qui sont là.

Une des clés les plus importantes pour maintenir une bonne condition physique en tant que paysagiste est l’alimentation. 

Le froid, le vent, prennent énormément d’énergie, beaucoup plus que la chaleur et le soleil en été. Il y a un paramètre fatigue qui est décuplé. On dépense davantage d’énergie à défendre son corps. Il faut donc manger à intervalles réguliers. 

Bien souvent, quand la fatigue se fait sentir plus fortement, c’est qu’on a déjà dépassé le moment où il aurait fallu manger quelque chose pour maintenir le niveau d’énergie. 

Prendre des moments de pause plus fréquemment, manger un encas pour éviter de s’affaiblir, peuvent vraiment faire la différence. 

Il faut s’imposer ces moments détente quand ça devient difficile. Prendre soin de soi.

JDV : Est-ce qu’il y a des tâches qui sont plus ingrates que d’autres ?
Au fil des saisons les tâches à accomplir sont différentes, 
est-ce qu’il y a là encore des facteurs de pénibilité aggravants en hiver ?

M.H. : Nos tâches de paysagistes sont extrèmement différentes et se font un peu à la préférence de chacun. C’est très vaste au final tout ce qu’il y a à accomplir toute l’année pour entretenir les extérieurs. Certaines, comme la débrouissailleuse, sont ingrates et fatiguantes. Ou des choses comme le taille-haie. Ce sont des positions qui ne sont pas naturelles et deviennent vite très fatiguantes ou inconfortables. Les positions et la posture sont capitales. 

Il y a un vrai travail de réflexion à avoir et une vraie démarche dans le respect de soi. Il faut essayer de se respecter et respecter son corps dans un travail difficile. Être à sa propre écoute. 

C’est également un métier dangereux. La sécurité et la prise en compte des risques sont extrêmement importants. Il faut être dans la maîtrise de chaque outil d’un point de vue technique et sécurité. Et aussi dans la maîtrise de son principal outil, son corps.

Là encore, mon passé de sportif fait que certaines choses sont pour moi instinctives dans les gestes et la posture. Il faut être prévenant et on l’est plus ou moins en fonction de son chemin de vie. 

Un accident dans mon métier peut t’enlever un membre. Et on a conscience de ça. Si l’on respecte l’aspect sécuritaire, on met toutes les chances de son côté pour que les choses se passent bien et sereinement. Il faut prendre le temps. Inspecter les machines très souvent. 

Se former régulièrement. Le parcours initial de formation joue également un rôle déterminant dans la prise en compte et la gestion du risque.

Beaucoup d’entre nous se forment sur le terrain, en apprentissage, et cela induit souvent de mauvaises habitudes. Il faut se forcer à être sensible aux aspects sécuritaires du métier.

L’appréciation du danger est propre à chacun et elle évolue.

Je ne fais plus les mêmes choix depuis que je suis Papa. Il y a davantage de retenue du risque et plus de sensibilisation à la mort aussi. Mais il m’est arrivé de me mettre dans certaines situations, en montant dans des arbres par exemple, et me dire que je me mettais potentiellement en danger. Aujourd’hui, j’aborde les choses différemment et avec plus de prudence peut-être. Il y a une question d’âge et puis de responsabilités aussi. Mes enfants ont besoin de moi.

JDV : D’un point de vue plus social ou psychologique, est-ce qu’il y a des vulnérabilités là aussi à prendre en compte ?

M.H. : Les métiers manuels d’extérieur souffrent d’un manque de reconnaissance humaine et financière. Nous avons les plus petits salaires alors que nous sommes la force travail qui fournit le plus, dans une entreprise comme la mienne. D’un point de vue humain, il y a également une perception négative et très réductrice de nos métiers. On remarque cependant un phénomène de retour à la terre qui redonne de la noblesse à notre métier dans le regard des autres. C’est un métier que tu fais lorsque tu es quelqu’un d’extérieur, qui a besoin de se sentir proche de la terre. On travaille avec les végétaux, les arbres, c’est l’essence de la vie. Quand tu fais ça bien, tu respectes les saisons, tu respectes le temps, les arbres, les plantes… C’est vraiment prendre soin et composer avec la nature.

C’est aussi sensibiliser les nouvelles générations à l’environnement. Je trouve ça tellement important de partager tout ça avec mes enfants. De leur transmettre le respect de la terre et qu’ils apprennent ça dès leur plus jeune âge. 

Je ne supporte plus le béton et l’enfermement. Et plus les années passent et plus ce sentiment grandit. Les anciens du métier vivent tous dans les terres et ne supportent plus la ville. Il y a ce besoin d’air de liberté à l’instant T. Et ce sont ces ressentis qui permettent de supporter la vie et les aspects plus difficiles du métier. On en bave parfois mais on est libre aussi ! C’est le meilleur médicament ! C’est une débauche d’énergie qui, pour moi, est différente du sport mais qui m’épanouit vraiment !

 

 » Il y a beaucoup d’aspects de nos métiers qui sont totalement sous-estimés. »